Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Le cinéaste japonais Go Nonaka en Alsace auprès de la déléguée de Psy Cause pour le Japon (6 au 12 octobre 2017)

Tout a commencé à Kyoto avec une rencontre en octobre 2014 lors du Xème congrès international de Psy Cause sous la présidence du spécialiste de la Thérapie de Morita, le Professeur Shigeyoshi Okamoto. Ce dernier avait invité le cinéaste japonais Go Nonaka à présenter le 19 octobre sa réalisation : le film « Morita Therapy to live » qui illustrait, au travers du parcours d’un patient, la pratique de la Thérapie de Morita à l’Hôpital Sanseï de Kyoto. Notre congrès avait été associé à la fermeture imminente de cet établissement centenaire et revêtait une solennité voulue par le Président qui honorait Psy Cause en nous faisant participer à un événement historique. Aujourd’hui, le Pr Shigeyoshi Okamoto poursuit au Japon un cycle de conférences sur la Thérapie de Morita, dont il est un érudit très sollicité.

 

En octobre 2014, celle qui allait devenir la déléguée de Psy Cause pour le Japon, Mme Nyl Erb, rencontrait Mr Go Nonaka en tant que congressiste et échangeait avec le cinéaste à propos d’un livre dont elles est l’auteure « Kibitz mon Âne » (ISBN numéro 978-2-35737-078-4  actuellement épuisé) : une histoire alsacienne mais aussi, un peu, japonaise. Par le truchement du CEEJA (Centre Européen d’Etudes Japonaises), situé à Kientzheim (à proximité de Colmar), une idée de film prend forme : le projet de « Kibitz mon Âne » est traduit en japonais et remis à Mr Go Nonaka, à Tokyo.

 

Du 6 au 12 octobre 2017, soit tout juste trois années après la première rencontre à Kyoto, Mr Go Nonaka fait le déplacement à Colmar pour un repérage en Alsace. Sa présence a été fructueuse en interviews et sorties extérieures en attente du scénario. Malgré un redoutable décalage horaire, le cinéaste, confronté aux contraintes de la traduction réalisée par l’équipe du CEEJA, a fait preuve d’une belle patience.

 

Le moment est venu de résumer « Kibitz mon Âne ». Cette histoire concerne mon père : un « Malgré Nous » enrôlé de force dans l’armée allemande pendant la seconde guerre mondiale et fait prisonnier par les Russes. Il est alors affecté en qualité de cantonnier dans ce camp d’internement de sinistre mémoire, Tambov, qui concerna des milliers d’Alsaciens et de Lorrains. Mais pas seulement puisque de nombreux Japonais y étaient internés, comme me l’a révélé Mr Go Nonaka.

 

Dans ce camp, on attribue à mon père un âne : il l’appelle Kibitz. Bien des ânes refusent d’avancer car le travail est pénible. Or les Russes tuent sans procès les prisonniers alors considérés responsables des arrêts. Dépendre d’un âne ! Il parle beaucoup à Kibitz pour l’encourager. La catastrophe surgit un jour : son Kibitz boite … Il n’a pas eu le temps de voir de quoi il s’agit que déjà le Russe est là : il tire sur Kibitz qui hurle et se tait. Mon père sait qu’il va mourir. En effet, le Russe le vise et tire. Rien ne se passe. L’arme est déchargée ou enrayée, nul ne le sait. Le Russe éclate de rire et envoie mon père travailler aux cuisines.

 

Quelque temps plus tard, il contracte une belle dysenterie. Il est évacué dans une ambulance. À un arrêt, il descend pour se soulager mais roule dans un ravin. Après moult efforts, il parvient à remonter et à rejoindre la route : il n’y a plus personne. C’est l’errance, les jours succèdent aux jours. Il ne sait s’il est en Russie ou en Allemagne. Après bien des périples, très affaibli, il se rapproche d’une ferme … et sombre dans le coma.

 

Dans ses moments d’émergence, il réalise que quelqu’un le soigne et insiste pour lui faire boire journellement du lait. Il ne peut refuser car il n’y a rien d’autre… C’est une femme sourde et muette, elle s’occupe de lui, le lange en raison de sa dysenterie, le soigne, lui fait la chambre. Que d’angoisses. Est elle seule ? Il restera bien longtemps sans pouvoir se lever. Enfin convalescent, il veut aider à traire la vache et se dirige vers l’étable. La femme est de dos. Il n’y a pas d’animaux : ni vaches ni chèvres. Elle se tourne sentant la présence de mon père. Lequel reste sidéré : elle tire du lait de sa propre poitrine !!! Elle pousse des cris gutturaux d’être ainsi démasquée – elle s’enfuit.

 

Mon père ne peut plus bouger, tétanisé par cette révélation – il a 19 ans. La femme revient et le sort de la léthargie pour lui montrer un monticule de terre surmonté de deux branches en forme de croix – elle berce un enfant imaginaire dans ses bras. Mon père, sauvé par cet enfant de “lait” gardera un traumatisme de “honte” toute sa vie. Il fuit le lendemain pour revenir à la civilisation.

 

Le scénario de Mr Go Nonaka va s’attacher à la reconstitution du parcours de mon père pendant ces trois années depuis sa capture sous l’uniforme allemand qu’il avait revêtu malgré lui du fait de l’occupation allemande en Alsace. Pendant ces trois années où la mort était permanente.

 

Nous pouvons ici traduire, dans cet article à propos de la venue à Colmar de Mr Go Nonaka, le formidable essor relationnel de Psy Cause qui ne se dément point.

 

Nyl Erb

Déléguée Psy Cause pour le Japon

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Écrire les chiffres et les lettres apparus ci-dessous, dans le rectangle en dessous