Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Le divan du monde à Avignon, 9 octobre 2017

Le cinéma Utopia d’Avignon propose en cette soirée du 9 octobre 2017, la projection suivie d’un débat, d’un film de Swen de Pauw achevé en 2016, intitulé « Le divan du monde ». Ce film casse tous les codes en ceci qu’il met en scène dans l’intimité du cabinet d’un psychiatre d’exercice libéral à Strasbourg, le suivi, sur plusieurs années, de la prise en charge de patients qui se livrent sans fards, de même que le psychiatre, à un cameraman dont le regard est extérieur. Un film criant de vérité, même pour le professionnel de la psychiatrie qui le visionne.

 

Le journaliste de Libération, Clément Ghys, dont le commentaire de présentation figure dans le journal/programme d’Utopia, en parle ainsi : « D’emblée, le plus frappant dans Le divan du monde est la singularité de la pratique de Georges Federmann. Il tutoie certains patients, son bureau est un gigantesque bazar de feuilles volantes et de dossiers entassés. Lui, arbore des tee-shirts marqués de slogans contre Sarkozy, de smileys, il vient en consultation en short. Voilà pour le cadre, étonnant mais qui s’oublie très vite, à peine un patient se met-il à parler. Chacun raconte son parcours. C’est souvent très dur, bouleversant même, de voir des gens afficher ainsi leur intimité à vif. Comme ce Mauritanien, ancien esclave dont les parents ont été assassinés, ou cette quinquagénaire qui a souffert de harcèlement au travail et qui se définit comme « une merde »… Mais dans cette polyphonie, surgit aussi de l’humour. »

 

Mais pour le psychiatre, directeur de Psy Cause, et surtout ancien praticien des CMP du service public, ce sont toutes les difficultés de la relation thérapeutique et le quotidien du psychiatre en consultation, que ce film met en scène avec une grande authenticité.

 

Le Dr Georges Yoram Ferdermann a fait le déplacement au cinéma Utopia et nous présente le déroulement de la soirée. Il porte le bonnet pointu du juif selon la tradition alsacienne médiévale, il est accompagné d’une pancarte anatomique du lapin. Parce que, nous dit-il, « le lapin incarne le juif dans le regard du médecin allemand qui a adhéré au nazisme. » Il rappelle qu’à cette époque là, les médecins qui apportaient leur caution à une idéologie raciste n’étaient pas un ramassis de marginaux. Au contraire, ils représentaient l’élite scientifique de leur pays, la majorité des professionnels bien pensants de l’époque. Cette constatation l’amène à poser un regard critique sur nos contemporains du XXIème siècle : « Comment se représente t’on, aujourd’hui, les damnés de la mer ? » Des lapins ?

 

Après la projection du film, le Dr Georges Yoram Federmann répond aux questions de la salle. Le premier sujet abordé est celui de la condition sociale peu aisée de ses patients : est ce un critère ? Réponse : « s’ils sont chez moi, c’est parce qu’ils ne sont pas les bienvenus dans d’autres cabinets. » Cette discrimination est principalement liée au regard qu’on porte sur eux… encore que « dire « eux », c’est les catégoriser. Disons plutôt : du côté du regard que nous portons sur la présence de l’autre. »

 

Le débat se poursuit sur les spécificités du travail du psychiatre : « le thérapeute est un tailleur sur mesure. » Le Dr Georges Yoram Federmann précise : « Je tente de redonner aux patients le sens de la liberté. » Le psychiatre est confronté à des prises en charge très longues, sur des années. Cela n’a rien de surprenant car « une grande partie de notre activité est consacrée à la répétition. » Ainsi, sans ses vingt années de venue régulière dans son cabinet, un des patients du Dr Federmann serait très probablement mort.

 

L’intérêt du film, pour le Dr Federmann, « c’est qu’une pratique est mise à nu. Une pratique qui n’est pas inattaquable mais qui a le mérite d’amener chacun à s’interroger sur sa propre pratique. » Il confie : « je donne mes secrets sur ma pratique. » Cette séance au cinéma Utopia étant ouverte à tout public, le conférencier a bien évidemment pris le risque d’entendre des critiques et doléances de patients à l’encontre de leur psychiatre. Certains déplorent ne pas retrouver le professionnalisme du Dr Federmann. Lequel répond alors : « le métier de psychiatre est très difficile. Ce peut être du rôle du patient d’aider son psychiatre à être bon. »

 

Le conférencier revient sur son travail et les adaptations qu’il implique pour être efficace. Il donne des exemples : il convient de s’intéresser à l’obtention des papiers pour soigner un migrant, il faut permettre à des insomniaques de venir sans rendez vous. « En psychiatrie, on a besoin d’hospitalité et d’un cadre. On n’a quasiment pas besoin des médicaments. » Le Dr Federmann a fait le choix de ne pas avoir d’ordinateur dans son cabinet car « l’ordinateur s’oppose aux aspérités, il va faire de nous des êtres homogènes. »

 

Il évoque un véritable travail spirituel, celui de lutter contre sa tentation d’être violent, la violence étant le rejet. Il admire l’énergie que ses patients portent en eux, que rien ne pourra arrêter. Selon lui, la maladie mentale n’existe que dans la désignation par la société : « il ne s’agit pas de maladie mentale mais de confrontation à la souffrance, de combat pour la liberté alors que l’on est aliéné par certaines situations. »

 

La soirée s’achève sur une dernière question : « comment faites vous pour tenir ? Et qu’adviendrait il de vos patients si vous veniez à disparaître ? » La présence de la mort ponctue la réponse : le Dr Federmann a été confronté à cette dernière, de façon personnelle. Il raconte : « j’ai perdu ma première femme Véronique et ai pris quatre balles dans le corps, le 15 novembre 2005, dans mon cabinet. » Selon lui, sa disparition ne sera pas un problème car la question de la spiritualité et de la transmission est à l’œuvre chez les patients. Il précise qu’il « assure le service après vente » : « je vais à l’enterrement de tous mes patients ». L’assistance qu’il leur propose va donc jusqu’au passage de la mort. Il ajoute : « maintenant, j’ai 62 ans. J’ai pleinement conscience que nous sommes le véhicule d’un mouvement qui nous dépasse. »

 

Au total, ce « divan du monde » nous a présenté une pratique professionnelle originale qui s’accompagne d’un véritable engagement dont les ressorts sont éthiques, philosophiques et spirituels. Le Dr Georges Yoram Ferdermann nous « transmet » une vision de la psychiatrie, pleine de sens.

 

Le lendemain, ce dernier rappelle par mail sa proximité ancienne avec Psy Cause et informe de son souhait de « rester en lien ».

 

Jean Paul Bossuat

 

 

 

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2 Commentaires

  1. Merci cher J P,

    Notre Mer

    Notre Mer qui êtes si bleue

    Que ton Nom soit partagé

    Que ton horizon nous fasse renaitre

    Que ta volonté et ta miséricorde m’ acceptent

    Offre-nous aujourd’hui notre Triton de ce jour

    Comme une trompette de la renommée

    Et non plus comme un cercueil

    Pardonne-nous nos défaites et nos deuils

    Comme nous pardonnerons à nos bourreaux

    Et ne nous soumets pas aux quotas

    Mais délivre l’ Europe de ses peurs et de ses carcans

    Georges Yoram Federmann
    Strasbourg
    20 mai 2015

  2. Hommage à la mémoire de Carole Henzinski

    et lutte contre les effets de la jouissance du pouvoir d’exclure

    http://www.comede.org/maux-dexil-politiques-et-sante-mentale-des-exiles/