Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Hommage à Marc Bounias

01-MerignarguesMarc Bounias a quitté notre monde le 18 février 2014 à la suite d’une terrible maladie. Il n’avait que 44 ans. Il avait rejoint le comité de rédaction de la revue Psy Cause au dernier trimestre 1998. Il était un jeune psychologue clinicien qui exerçait au Château de Mérignargue, unité de prise en charge des adolescents au Centre Hospitalier de Montfavet. Il devait à son père, chercheur et ingénieur agronome à l’INRA (Institut National de Recherche Agronomique) de Montfafet/Avignon, une grande curiosité intellectuelle. Il avait publié avec son père, Michel Bounias, en 1993, un livre intitulé « Le Tox 50 ou le palmarès de la publicité pour les toxiques » dont la revue Psy Cause a rédigé une fiche de lecture (N°19, pages 100 et 101). L’un des personnages de ce bouquin disait sentencieusement : « Plus le produit est bidon, plus le bidon doit être attrayant. »

 

02-couvMarc Bounias nous avait rejoints dans le cadre d’un projet : celui d’organiser pour Psy Cause à Avignon au cinéma Utopia des soirées cinématographiques avec présentation d’un film suivie d’un débat avec le public, intitulées « Psynéma ». Ces soirées rencontrèrent un vif succès : salle comble et public refusé faute de place. La première se déroula le jeudi 2 mars 2000 à 20h30. Elle présentait le film « Dark City ». À propos de ce film d’Alex Proyas, une spectatrice venue à cette soirée, l’éducatrice spécialisée Marie Laure Brignone, avait témoigné dans Psy Cause (N°20/21, pages 140 à 141)  : elle avait beaucoup aimé ce film qui lui avait rappelé le cinéma allemand expressionniste des années 1919 à 1930 avec « Le cabinet du Dr Caligari » et « Métropolis ». Elle établissait un parallèle entre le Dr Caligari et et le Dr Schreber de Dark City, ces psychiatres à lunettes « si inquiétants en début de film et qui retrouvent à la fin leur humanité. » Par ailleurs, « la gigantesque métropole de « Métropolis » rappelle étrangement la « cité sombre » de Proyas : villes faites de hautes tours, sans horizon, univers verticaux… »

 

Dans ce même numéro de Psy Cause (pages 142 à 144) le psychologue collègue de Marc Bounias dans le même service, 03-Affiche-Dark-CityFrançois Roche, rappelle que « Dark City met en scène l’affrontement entre le héros Murdoch, en quête de son identité et de sa mémoire perdue et « les étrangers » en quête de l’âme humaine. Opposition entre le monde de la surface, où se déroulent les fils d’une enquête policière sur des meurtres de prostituées, et le monde des « étrangers », souterrain, obscur, invisible aux êtres de la surface ; deux mondes avec une interface que symbolise Murdoch, grain de sable empêcheur de tourner en rond dans cette organisation binaire, bipolaire. Mondes oniriques, hallucinés, où la réalité est en permanence questionnée sur son existence, sa validité. Qu’est ce qui est la réalité ? Qu’est ce qui ne l’est pas ? Le spectateur est sans arrêt bousculé, propulsé dans ces deux mondes à travers les rets de l’imaginaire. » François Roche évoque à propos de ce film « l’horreur de la quête psychotique. » Il conclut que « la folie du monde des « étrangers » réside en ce que la différence des sexes est abolie ». De là à dire que ce film interroge de façon visionnaire l’évolution constructiviste de nos sociétés urbaines occidentales plus perceptible en 2014, il n’ y a qu’un pas. C’est déjà ce qui fit le génie du cinéma expressionniste allemand qui précéda tout juste la folie hitlérienne. Enfin, le clin d’œil dans ce film entre le Dr Scheber et le « cas Schreiber » des « Cinq psychanalyses » de Sigmund Freud, n’est certainement pas fortuit.

 

Marc Bounias confiait après cette séance/débat sur Dark City (Psy Cause N°20/21 page 138) : « Dans la théorie de l’œuvre et selon le point de vue du symptôme, peut on considérer que la production artistique est « étrangère » à l’artiste ? Et dans le cas où l’artiste ne peut se soustraire à la production et où celle ci ne peut se substituer à une autre, s’agit il bien d’une « création » plus que d’une découverte ou d’une narration ? En posant au public cette question qui me tient à cœur (mon propre symptôme à n’en point douter…) : « l’auteur est-il le créateur de son œuvre ? », je proposais à tous de débusquer les fondements du film par une clinique des images et je leur demandais à chacun de décrire ce qui lie l’artiste à son œuvre, et réciproquement. »

 

03b-crashDans ce même écrit, Marc Bounias annonçait la prochaine séance, consacrée au film Crash de David Cronenberg, qui, après la psychose, interrogeait principalement la perversion. Ce fut la séance du 25 février 2001. En regardant un tel film, on comprend que, lors de sa première projection publique durant le festival de Cannes en 1996, une partie des spectateurs soit sortie avant la fin. Lors de la séance, le spectateur s’était retrouvé comme embarqué dans un accident de voiture, il était pris en otage, objectalisé. Très intéressé par ce film, le Dr Didier Bourgeois écrivait dans le N°25 de Psy Cause (pages 65 et 66), une « contribution au débat sur Crash ». Il écrivait que la perversion ne questionne pas le mystère de la sexualité génitale, la différenciation homme/femme et la dimension du plaisir », mais qu’elle tente de maîtriser « une limite bien plus fondamentale, celle qui chemine entre « vivant » et « non-vivant ». Il voyait dans ce film un sex appeal de l’inorganique qui rend compte « d’une quête constante de l’objectivation-minéralisation du partenaire-vivant par le pervers. »

 

Cette seconde séance fut la dernière. L’idée d’organiser un festival PsyNéma au cinéma Utopia d’Avignon, ne vit pas le jour. Marc Bounias expliquait en 2001 (Psy Cause N°20/21, page 139) l’ajournement de ce projet qui justifiait évidemment une longue période de gestation : « se profilait également à l’horizon du mois d’avril 2001, une première troisième rencontre PsyNéma qui devait faire figure de « Premier festival PsyNéma ». Cependant, pour des questions actuellement insolubles d’organisation, ce projet est ajourné. À l’heure de la parution de ce numéro, il semble préférable que nos rencontres gardent l’identité ponctuelle « ici et maintenant », qui a agi la première. Fraîcheur rime souvent avec éphémérité. La créativité se découvre probablement mieux qu’elle ne se planifie. » Le décès de son père au début de mai 2003, allait l’atteindre profondément.

 

04-Marc-Bounias-18.6.04Sa dernière contribution à Psy Cause, publiée dans le premier numéro de 2005 (N°39, pages 26 à 29, numéro en ligne sur le site de psycause.info), fut une communication au congrès Psy Cause organisé au Centre Hospitalier de Montfavet, le 18 juin 2004. Marc Bounias évoquait alors « l’avenir des psychologues en psychiatrie ». Il débutait son propos sur la perplexité des décideurs face aux réalités des fonctions professionnelles du psychologue qu’ils ont bien du mal à appréhender. Avec humour, Marc Bounias imaginait des scénarios quant aux places et fonctions du psychologue dans 10 ans … c’est à dire aujourd’hui en 2014.

 

« Le premier nominé est le scénario du psychologue technicien supérieur (…), une sorte de géomètre psychique qui quantifie à longueur de journée pour que ses actes eux mêmes puissent être clairement répertoriés. »

 

« Le deuxième nominé est le scénario du psychologue responsable d’équipe : une fois gonflé de pouvoir hiérarchique, le psychologue, en sa qualité de C.E.S. (chef d’équipe soignante) aura en charge la bonne gestion du travail de terrain laissé en friche par les cadres infirmiers devenus eux mêmes CHRU (chefs des ressources humaines d’unité) (…) ».

 

« Le troisième nominé est le scénario du psychologue « chef de clinique ». Pour faire face à la pénurie des psychiatres, il disposera d’une responsabilité médicale et hiérarchique (…). Il prescrira des médicaments dispensés par les ASH et des thérapies distribuées par les infirmiers, à moins que ce ne soit l’inverse… On lui demandera des comptes sur ses orientations budgétaires (…). »

 

« Le quatrième nominé est le psychologue commercial clinique en psychiatrie. Du fait de l’ouverture de la clinique psychopathologique à tous les corps de métier de l’hôpital et de la libre concurrence de l’exercice de la psychothérapie, au même titre que les infirmiers, AMP, AS, ASH, etc., il devra prospecter et indiquer son numéro de compte lors de l’hospitalisation d’un patient, pour toucher sa rétribution au pourcentage du forfait journalier à la charge du patient revalorisé d’un coefficient de majoration (…). »

 

05-11.3.07-Marc-Bounias-2Force est de dire que, du moins en France et pour l’instant, les psychologues ont plutôt bien résisté et que ces quatre modes d’exercice relèvent encore de la prospective fiction. Psy Cause étant devenue depuis une revue internationale, la réflexion pourrait être étendue. Mais c’est une autre histoire. Marc Bounias prenait congé de Psy Cause en 2007. Il était alors totalement investi dans un vaste projet appelé « Global Project » qui consiste à promouvoir les œuvres de son père en France et dans le monde (voir son site : http://globalprojectmb.org qui est toujours opérationnel). Il avait fait savoir au directeur de la revue Psy Cause qu’il n’avait plus la disponibilité intellectuelle pour participer au comité de rédaction. Quoiqu’il en soit Marc Bounias fut un acteur très créatif de Psy Cause tout à fait en phase avec notre identité. Qu’il en soit remercié.

 

Jean Paul Bossuat

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