Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Hommage au Prof. Naasson Munyandamutsa (Pr François Ferrero)

01-Naasson-MunyandamutsaLe 1er mars dernier, le Prof. Naasson Munyandamutsa, est décédé chez lui à Kigali dans sa 58è année. Ses amis le savaient sévèrement atteint dans sa santé, néanmoins, cette nouvelle les a bouleversés tant il laisse un vide immense. Naasson est né dans la province de Kibuyié, à l’Ouest du Rwanda, fils aîné d’un pasteur adventiste. Après l’école primaire, il a effectué des études secondaires scientifiques, puis a étudié la médecine à l’Université du Rwanda. Il choisira de devenir psychiatre et travaillera tout d’abord à l’hôpital neuropsychiatrique de Ndéra, un établissement fondé par la Congrégation Belge des Frères de la Charité. Comme il n’existait pas alors de formation post-graduée en psychiatrie au Rwanda, il décidera d’aller se former en Suisse, à Malévoz dans le canton du Valais dès octobre 1989. Sa femme et son fils pourront le rejoindre.

 

Le génocide de 1994 décimera sa famille, un seul de ses frères y survivra.

 

En octobre 1994, Naasson rejoindra le Département de psychiatrie des Hôpitaux Universitaires de Genève. Alors que le monde entier découvre l’ampleur et l’horreur du génocide, le gouvernement Rwandais, conscient des immenses souffrances des survivants, demandera l’aide de l’OMS pour élaborer un projet de politique de santé mentale. Le gouvernement Suisse soutiendra ce projet dès son origine et c’est dans ce contexte que Naasson acceptera de revenir travailler au Rwanda à partir de 1996. Il découvrira un pays ravagé et meurtri, confronté à d’immenses défis. L’hôpital où il a travaillé a été un lieu de massacres et ses collègues et ses amis ont pratiquement tous été exterminés. Avec l’aide d’un infirmer du département de psychiatrie de Genève et d’un soignant rwandais qui, le premier, avait eu le courage de revenir s’occuper de quelques patients survivants, il parviendra peu à peu à développer un réseau de soins de santé mentale efficace et cohérent. Il était alors l’unique psychiatre dans le pays et ne pouvait s’appuyer que sur un nombre extrêmement limité de soignants qualifiés. Le modèle d’organisation consistera à prendre appui sur les 36 hôpitaux régionaux avec pour premier objectif de former au moins un soignant en psychiatrie dans chacun d’eux. Ce choix a eu l’avantage de créer des liens étroits entre la psychiatrie et les services de santé primaire.

 

L’hôpital de Ndéra sera progressivement remis en fonction et deviendra l’hôpital psychiatrique de référence tant pour les soins que pour la formation. Dans une logique de décentralisation, un premier centre ambulatoire de consultations psycho-sociales sera ouvert à Kigali, puis d’autres suivront dans différentes villes du pays. Ces développements auraient été impossibles sans l’appui d’autres pays, en particulier de la Belgique et de la Suède. Après 3 années passées au Rwanda, Naasson reviendra travailler quelques temps à Genève, afin d’y écrire sa thèse de doctorat, « Question du sens et des repères dans le traumatisme psychique », consacrée aux enfants et adolescents rescapés du génocide, et il se spécialisera en thérapie de famille et en thérapie de groupe.

 

En 2001, Naasson décidera de retourner vivre au Rwanda où il va développer de nombreux projets en parallèle à ses activités de responsable de la santé mentale, de clinicien et d’enseignant. Il ne cessera de lutter pour imposer des pratiques soignantes respectueuses des droits des patients et pour faire évoluer les mentalités. Il a créé plusieurs Fondations et Associations dans le but d’aider les survivants du génocide, parmi elles Ibuka, Neveragain Rwanda, ou l’Institut de recherche et de dialogue pour la Paix (IRDP). Au cours des dernières années, l’Association Interpeace, une ONG basée à Genève lui apportera un important soutien. Il développera aussi des projets avec les Hôpitaux Universitaires de Genève ou avec Médecins du Monde, formant et supervisant des thérapeutes. L’un d’eux, soutenu par le Canton de Genève, consistera à aider les femmes victimes de viols et leurs enfants, qui avaient atteint l’âge de devenir parents.

 

Grâce à son expérience unique et à ses qualités, Naasson deviendra rapidement un expert incontournable des traumatismes vécus par les victimes du génocide ou d’autres désastres. Capable de donner sens à leurs souffrances, il sera très souvent invité à participer à des congrès et à animer des formations. Ses interventions et ses écrits susciteront un grand retentissement et par son exemple et son enseignement, il aura aidé un nombre incalculable de professionnels de la santé, infirmiers, médecins, psychologues, à mieux écouter leurs patients. Comment ne pas se décourager devant l’immensité de la tâche, comment libérer la parole des victimes, comment les aider à créer des liens et à trouver un sens à leur vie ? Ces questions lancinantes ne cesseront de l’accompagner. Très vite s’est aussi posée la question de la formation et du soutien des formateurs et en particulier des thérapeutes de groupe, qui, entendant leurs patients parler des horreurs qu’eux-mêmes avaient vécues pouvaient se trouver démunis.

 

Nul doute qu’en plus de ses qualités propres et de son charisme, sa très large formation, psychanalytique, systémique et en dynamique de groupe lui aura permis d’intervenir avec une autorité indiscutée, loin des conflits d’écoles. Il y a 2 ans, Naasson aura eu la satisfaction de voir se réaliser l’un de ses plus chers projets, la mise en place d’un programme de formation post-graduée en psychiatrie dont il est tout naturellement devenu le responsable, et qu’il animait avec ses collègues Suisses et Belges.

 

En reconnaissance de son engagement exceptionnel et de ses réalisations il sera Lauréat du Prix de Genève pour les Droits de l’Homme en Psychiatrie, en 2011, et du Barbara Chester Award, aux Etats-Unis, en 2013.

 

Comment évoquer enfin l’ami irremplaçable qu’il a été, et parler de sa générosité et de son humour ? J’ai eu le privilège de l’accompagner dans sa formation, de diriger sa thèse et de partager pendant plus de 20 ans certains de ses projets. La rencontre avec Naasson ne pouvait laisser indifférent, ni non plus indemne. Par ses questionnements, son courage et son exemple il aura profondément marqué la vie de beaucoup d’entre nous. La partie visible, celle de notre collaboration dans le projet de développement des services de santé mentale au Rwanda restera bien sûr inoubliable. Mais l’enrichissement et les bouleversements provoqués par une telle rencontre garderont une part inconsciente et indicible. Et d’ailleurs, qui pourrait prétendre connaitre Naasson?

 

Au sens plein de ce terme, Naasson aura aussi été un remarquable « guérisseur ».

 

Rares sont en effet ceux qui ont le courage d’affronter comme il l’a fait le mal qui se trouve dans le monde comme au fond de chaque homme et qui, malgré cela, les yeux ouverts, continuent à garder espoir. Naasson faisait partie de ceux qui nous rendent meilleurs.

 

Aujourd’hui, nos pensées vont à sa femme Dona qui l’a si magnifiquement accompagné et soutenu, à ses quatre enfants, à ses amis et à tous les patients dont il s’est occupé jusqu’à la limite de ses forces.

 

 

Prof. François Ferrero

 

Ancien Directeur du Département Universitaire de Psychiatrie, Genève, Président de la Fondation du Prix de Genève pour les Droits de l’Homme en Psychiatrie.

 

 

La revue Psy Cause, et tout particulièrement le Dr Jean Paul Bossuat et le Pr Raymond Tempier, s’associe à cet hommage. Nous l’avions tous les deux rencontré en février 2013 à Yaoundé lors d’un congrès : il avait accepté d’entrer dans le comité de rédaction de la revue Psy Cause et envisageait de créer à Kigali un petit groupe Psy Cause avec les professionnels de la psy qui souhaitaient continuer de s’exprimer en Français. Ce projet ne s’est pas concrétisé mais nous étions, dans Psy Cause, très honorés qu’il figure parmi nos rédacteurs.

 

Jean Paul Bossuat et Raymond Tempier

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