Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Journal du congrès d’Ottawa : carnet N°7. Matinée du 4 octobre

01-Com-Tempier-4.10.13Le Pr Raymond Tempier ouvre la séquence des communications scientifiques en nous parlant du DSM V. Cette nouvelle version de la célèbre classification intègre des données culturelles et est l’objet d’une polémique de la part de tenants de la psychiatrie biologique qui en contestent la pertinence. Nous avons pu visiter quelques exemples de syndromes rattachés à diverses cultures. Selon le Pr Raymond Tempier, « le DSM V marque une véritable rupture avec l’approche qui prévalait dans le DSM IV. » Rappelons que déjà en 2008 lors du congrès de Psy Cause à Parakou au Bénin, le thème était la question des spécificités culturelles à prendre en compte dans le DSM. Nous étions dans l’air du temps car il n’aura fallu que cinq années pour que les souhaits des psychiatres de l’Afrique subsaharienne présents à Parakou, deviennent une réalité.

 

02-com-Biyong-4.10.13La seconde communication traite une spécificité de l’Hôpital Montfort puisqu’elle est rédigée dans le contexte de la clinique « Trauma et psychiatrie transculturelle », structure de soins du programme de santé mentale de cet établissement d’Ottawa. Les minorités culturelles du nord de l’Ontario sont nombreuses, outre la communauté franco-ontarienne. L’auteur de la communication, le Pr Issack Biyong, fondateur et animateur de cette structure transculturelle de soins, attire notre attention sur l’importance de la compréhension de la trajectoire migratoire de ces patients et de leurs histoires pour créer le bon rapport thérapeutique. Il n’est pas possible pour étudier cette question, de se satisfaire d’une simple étude statistique. Il y a lieu également de montrer l’importance du travail en réseau entre interprètes, médiateurs socio-culturels dans la prise en charge ethnoclinicienne des groupes minoritaires. L’interprétariat n’est d’ailleurs pas une chose aisée car l’interprète a parfois du mal à traduire l’intégralité des propos d’un patient dont le discours est altéré par un trouble mental et échappe à la logique d’une bonne compréhension. Enfin, il convient d’expliciter l’importance du traitement biopsychosocial et de l’accompagnement social dans le rétablissement et l’intégration de ces patients psychiatriques minoritaires.

 

03-Com-Daoust-4.10.13La troisième communication est celle d’un psychologue clinicien de l’Hôpital Montfort, le Pr Jean Philippe Daoust, qui met l’accent sur l’interdisciplinarité dans la prise en charge des traumatismes psychiques avec une approche thérapeutique, au sein des minorités francophones. Il se situe dans la démarche évaluative d’un programme concernant deux groupes « trauma et rétablissement transculturel », le premier correspondant à une phase 1 et le second correspondant à une phase 2. Ce souci d’objectivation d’une méthodologie thérapeutique au niveau de ses résultats n’est souvent pas la priorité en France où le thérapeute est plus attaché à la relation individuelle avec son patient et repère bien qu’il va mieux ou moins bien. Mais lorsque les soins sont financés par l’argent public, il est normal de démontrer qu’un dispositif mis en place, qui plus est, dans le cadre d’un Centre Hospitalier qui a une vocation de recherche, apporte un mieux être aux patients. Il peut être aussi intéressant d’être amené à se remettre en question en tant que thérapeute. Cette communication met en évidence la pertinence et l’efficacité de ce programme au regard des résultats obtenus.

 

04-Recreologue-4.10.13Pendant la pause, une visite est organisée en plusieurs petits groupes par la direction de l’Hôpital Montfort, des unités d’hospitalisation du département de santé mentale. Le fonctionnement est essentiellement paramédical, conjuguant des infirmiers de base, des infirmiers praticiens qui ont en Ontario le droit de prescription de presque toute la pharmacopée dont les neuroleptiques et ont fait des études pour cela, des ergothérapeutes qui ont leur propre cursus d’enseignement. Une organisation institutionnelle favorise l’autonomie des patients tant au niveau de la prise des repas que des activités. Les psychologues et psychiatres interviennent à la demande à partir de la clinique externe située en rez-de-chaussée, l’hospitalisation étant en étage. L’équipement des chambres, des lieux de vie et des salles de soins est de qualité. Les moyens pour la psychiatrie sont là. Si du personnel vient à manquer ce n’est pas faute d’argent. Et d’ailleurs l’Hôpital Montfort recherche activement des psychiatres francophones qui seraient les bienvenus. Il envisage sous peu de doubler sa capacité en lits psychiatriques.

 

05-Ottawa-3.10.13Après la pause, les travaux reprennent avec deux communications qui concernent la communauté haïtienne à Montréal. Celle ci est numériquement particulièrement importante au Québec car francophone en provenance d’un pays à forte émigration. Le groupe des professionnels français avait déjà été sensibilisé à la culture haïtienne par une exposition très convaincante et opportune sur le Vaudou (ou Vodou, il y a plusieurs orthographes) haïtien au musée des civilisations la veille de notre premier jour de congrès. Y étaient présentées la continuité entre le monde des vivants et le monde des morts, et une forme d’animisme importée d’Afrique puis adaptée au contexte de l’esclavage et de la lutte contre les maîtres des plantations. L’exposition présentait des rituels de possession au son des tambours destinés à faire descendre les esprits et des représentations de cohortes d’êtres de l’au delà qui engendrent un malaise dans un cerveau occidental, mais qui sont familières et rassurantes pour des Haïtiens qui appréhendent ainsi une permanence entre la vie et la mort, et la possibilité de trouver de l’aide. L’univers fantasmatique haïtien, à vivre dans cette exposition, peut être déroutant.

 

06-Stip-Eve-Juste-Blain-4.10.13La première des deux communications sur la minorité haïtienne est présentée par le Pr Emmanuel Stip, Directeur du département de psychiatrie et Titulaire de la chaire de schizophrénie à l’Université de Montréal, avec la Dre Ève Juste Blain, médecin résidente en psychiatrie et cinéaste. Cette communication met l’accent sur les difficultés de la pratique psychiatrique à Haïti même, tant par le manque de moyens que par les risques d’agression des patients liés au contexte culturel. L’hôpital psychiatrique est vécu comme protecteur contre le monde extérieur, ce que l’on retrouve aussi en Martinique comme exprimé lors de la discussion qui fait suite à l’exposé. Le film présenté lors de la communication évoque le contexte traditionnel haïtien et la possibilité de prises en charge dans le contexte vaudou. Contexte qui existe dans la communauté haïtienne immigrée au Canada.

 

07-Elena-Bessa-4.10.13La seconde des deux communications sur la minorité haïtienne est présentée par Mme Elena Bessa, sociologue, chercheure et coordinatrice de projet à la TELUQ (TéléUniversité du Québec) à Montréal, d’origine argentine. Cette communication est co-rédigée par le Pr Yves Lecomte, Directeur du DESS de santé mentale à la TELUQ, qui n’a pu venir en raison d’une mission de terrain à Haïti. Elle présente des résultats provisoires d’une recherche menée auprès d’un échantillon de la communauté haïtienne de Montréal, intitulée « Réseau intégré de services, communautés de pratique et dispensation des services de santé mentale auprès d’une communauté culturelle ». Rappelons que le Pr Yves Lecomte a été 37 années durant, directeur de la revue Santé mentale au Québec qu’il a fondée, avant de passer la main cette année au Pr Emmanuel Stip et au département de psychiatrie de l’Université de Montréal. Il en a édité une déclinaison haïtienne intitulée : « revue Santé mentale en Haïti ».

 

08-Hakima-4.10.13La quatrième communication nous parle d’une minorité francophone d’installation relativement récente au Canada, à savoir la communauté maghrébine (Maroc, Algérie et Tunisie). Mme Hakima Moktary, « Travailleuse sociale » d’origine marocaine à la clinique externe du programme de santé mentale de l’Hôpital Montfort, nous fait sa communication avec le foulard islamique qui fait débat en ce moment au Québec mais pas en Ontario. Les recherches montrent que les femmes immigrantes en général sont plus susceptibles de souffrir de problèmes psychologiques une fois installées dans le pays d’accueil. Ce constat s’aggrave au sein de la communauté maghrébine. Des facteurs ethniques et culturels y contribuent mais aussi un problème linguistique lorsque l’immigrée ne parle correctement aucune des deux langues officielles (français et anglais).

 

La matinée s’achève avec la communication du Dr Mario Douyon de Azevedo, médecin spécialiste en toxicomanies, médecin consultant de l’Hôpital Montfort, qui intervient au Centre de Santé autochtone Wanabo d’Ottawa. C’est donc essentiellement des Amérindiens d’Ottawa qu’il est amené à nous parler. Ainsi en une demi-journée seulement, nous avons eu un premier panorama déjà très riche, de la question des minorités culturelles en lien avec la santé mentale.

 

Jean Paul Bossuat

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