Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Les « Nana-Benz » et l’incendie du Grand marché de Lomé (Togo) le 11 janvier 2013

01-SOEDJE-12.2.08« Les « Nana-Benz » et l’incendie du grand marché de lomé : organisation d’une prise en charge médico-psychologique et culturelle. », tel est le titre de l’article togolais à paraître dans la revue Psy Cause, dont l’auteur principal est le Dr Kokou Messanh Agbémélé SOEDJÉ, psychiatre addictologue et assistant chef de clinique au CNHU de Lomé au Togo. Cet auteur est un sympathisant de Psy Cause de longue date, déjà présent à notre congrès de Parakou au Bénin en 2008. Son travail, qui porte sur la mobilisation d’une équipe médico-psychologique en situation de catastrophe, a associé trois psychologues, deux étudiants en DES de psychiatrie et est cautionné par la signature du Pr Simliwa Kolou Dassa, rédacteur togolais de Psy Cause qui coordonne le travail rédactionnel sur le terrain.

 

Les auteurs racontent : « aux alentours de minuit, ce 11 janvier 2013, les radios communautaires encore en activité avaient commencé par émettre une information : « Le grand marché d’Adawloto est en feu ». Cette situation était d’autant plus vraisemblable que moins d’une semaine auparavant le grand marché de nord (de Kara) avait pris feu aussi.Cette information 02-Grand-Marche-de-Lome-en-feus’était propagée par des appels téléphoniques. Elle avait abouti à la convergence d’une foule impressionnante faite des victimes directes, indirectes, des témoins et des curieux. Les forces de l’ordre (policiers, gendarmes et sapeurs pompiers) cherchaient à cerner et à sécuriser la zone. Le feu non maîtrisable par les sapeurs pompiers qui étaient sous équipés et malgré l’aide de leurs collègues du Ghana (pays voisin) venus en renfort, donnait lieu à des scènes de désespoir et de désolation. Dans cette situation de feu vif, de fumées épaisses et de tentative de sécurisation avant le lever du soleil, on observait des pillages organisés par des groupes de bandits célèbres du dit marché communément appelés « milégo ». » Les auteurs précisent que « ce marché incarnait le symbole même du métier des « Nana-Benz ». Ces femmes commerçantes de pagnes qui avaient fait et font la fierté de tout un pays : « le Togo ». »

 

03-GML-facade-nordLa population des victimes directes concernées par l’intervention de l’équipe médico-psychologique, « était faite pour la plupart de femmes revendeuses dans le bâtiment principal du dit marché. C’étaient en majorité des grossistes de matériaux de tous genres dont ceux des pagnes que l’on appelle ici des « Nana-Benz ». Il existait aussi des vendeurs détaillants de grand stock et de petites revendeuses. Ces victimes étaient pour la plupart installées au marché depuis des décennies, les plus jeunes ayant hérité des stands de leurs parents. Il s’agissait souvent d’entreprises à gestion familiale. » L’intervention de l’équipe était également concernée par des victimes indirectes, population constituée des clients des victimes, des parents de ceux-ci et des employés de différents niveaux comme les chauffeurs, colporteurs et les aides vendeurs. Des témoins et curieux pouvaient également concerner l’équipe.

 

04-GML-facade-sud-2Les auteurs exposent dans leur article à lire prochainement dans la revue Psy Cause, les modalités de leur intervention, à commencer par le local d’accueil et de soins dans un environnement difficile : « présence massive de curieux, exiguïté des routes, explosions par moments semant des scènes de panique, rendant du coup impossible une intervention adéquate sur les lieux. » Les autorités mettaient à disposition, à 150 m du lieu du sinistre, un espace de trois pièces vers lequel étaient dirigées les victimes par des volontaires de la Croix Rouge : « la première salle était dévolue à l’accueil assuré par les volontaires de la Croix-Rouge et par des psychologues cliniciens. La deuxième salle était consacrée aux soins médico-psychologiques. On y trouvait un bureau médical avec une table et quatre chaises. Des espaces distincts ont été aménagés pour les personnes âgées et les sujets jeunes, afin que les uns et les autres puissent recevoir des soins de manière séparée. Enfin, la troisième salle où des sièges ont été disposés en cercle, a été réservée aux soins psychologiques. Un bureau pour les entretiens individuels a été aménagé dans un coin de cette salle.

Parallèlement, une autre équipe était chargée de porter l’information de notre présence auprès de la population concernée à travers des émissions radiophoniques et télévisées. Ces émissions permettaient également de répondre aux interrogations de public et de situer notre action dans le champ médico-psychologique. De même deux ambulances étaient prêtes pour des éventuelles évacuations vers les Centres Hospitaliers et Universitaires de la capitale. »

 

05-Grand-Marche-de-Lome-detruitLa prise en charge immédiate était somatique, psychiatrique (traitement chimiothérapique des états aigus) et psychologique (débriefings collectifs et entretiens individuels). La cellule d’urgence médico-psychologique est demeurée 72 heures sur le site. Les auteurs décrivent les symptômes et les problématiques rencontrées. Ils ont en particulier noté les expériences subjectives rencontrées chez les Nana-Benz, décrites sous plusieurs angles :

« – En termes de loyauté, le sujet se voit coupable d’avoir mal conservé et protégé l’héritage que ses parents ont construit et légué à sa génération et à la suite de la progéniture. La culpabilité soudainement née en rapport avec le passé et avec le futur ne laisse malheureusement que la place à la maladie mentale, dans cette rupture des liens ontogénétiques.

– L’effondrement de leur personne car l’activité commerciale et les boutiques parties en fumée font partie intégrante de leur personnalité qui a été construite avec les matériaux issus de la vie au grand marché.

– Culturellement, les Nana Benz avaient cette réputation de posséder des pouvoirs magiques ou des boas, de reposer leur activité commerciale sur des pratiques occultes ou ancestrales mystiques héritées ou acquises au prix de lourds sacrifices. La psychose était d’autant plus plus forte que certains charlatans ou tradithérapeutes auteurs de ces « talissements » et gris-gris étaient décédés. »

 

Les auteurs notent dans leur conclusion que cette cellule d’urgence médico-psychologique mobilisée à l’occasion de cette catastrophe à la demande du ministère de la santé togolais, est la première impliquant des professionnels de la santé mentale au Togo.

 

Jean Paul Bossuat

 

Écrire les chiffres et les lettres apparus ci-dessous, dans le rectangle en dessous

1 Commentaires

  1. Article fort intéréssant valant vraiment la peine d’ etre publié sur le plan de la clinique psychiatrique et aussi sur le plan de la création d’une structure d’urgence psychologique et psychiatrique .Bravo et félicitations aux auteurs mais aussi bonne chance pour l’avenir de la structure d’urgence