Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Les populations « autochtones » du Canada au congrès Psy Cause d’Ottawa

Notre congrès qui se déroulera du 4 au 6 octobre 2013, a déjà enregistré de nombreuses communications sur les spécificités de la prise en charge des populations canadiennes dites autochtones, c’est à dire des Amérindiens et des Inuits (plus connus sous la dénomination d’Eskimos). Le programme scientifique en ce début juin, concerne l’ensemble de ces populations.

 

Les Inuits du Nunavik 

 

2-puvirnituqLe Pr François Borgeat vient de porter à notre connaissance une communication de la Dre Marie Ève Cotton, une psychiatre originaire de Gaspésie qui exerce une partie de l’année dans le Grand Nord du Québec, dans la région Inuit du Nunavik. Lors de ses premières visites au Nunavik, elle avait été profondément frappée par l’ampleur de la détresse qui touche les Inuits : taux de suicide alarmant, mortalité infantile importante, pauvreté endémique… Le premier mars 2012, elle expliquait sur un plateau de la télévision du Québec (Télé Québec) : « Parmi les nombreuses difficultés que traverse le peuple inuit, la transition vers la modernité a été particulièrement exigeante pour les hommes. Au niveau des femmes, il y a une certaine continuité entre le mode de vie traditionnel et la modernité qui se fait au travers de la maternité qui est encore très valorisée. Chez les hommes, la discontinuité est plus brutale. Ils avaient un rôle de pourvoyeur et un rôle extrêmement héroïque compte tenu des conditions de vie tellement rudes qu’il y avait là bas. Il y a tout un savoir qui leur donnait un rôle clé dans la communauté et qui tout d’un coup s’effondre.» Elle exposait également dans cette émission sa vision de la pratique ethnopsychiatrique au Nunavik : « Le premier défi rencontré comme psychiatre, c’est de passer le message qu’on arrive avec une certaine perspective sur leur détresse et ce qu’ils vivent – qui est la perspective médicale qui vient avec certains outils et certains traitements, mais qu’on est conscient qu’il y a d’autres perspectives qui existent et qui sont potentiellement aussi valables que les nôtres. À ce titre, le cas de la schizophrénie est particulièrement éloquent puisque certaines de ses manifestations peuvent être associées à des phénomènes spirituels. C’est là où s’engage parfois un dialogue à savoir comment on construit le sens de la maladie. Et le contrat thérapeutique va être sur la souffrance et non pas nécessairement sur le phénomène.» Elle cite l’exemple d’un patient qui entendait des voix et qui souhaitait prendre des médicaments pour que l’intensité de ces voix diminue, et non pas pour les faire disparaître complètement, car il ne s’agissait pas, pour lui et sa famille, du signe d’une véritable pathologie. «C’est ça l’ethnopsychiatrie, résume Marie-Ève Cottton, c’est de partager la légitimité des regards sur les symptômes.»

 

1-NunavikUn peu de géographie (d’après un article de Ludger Müller-Wille(1)) : Nunavik, le « grand territoire » en inuktitut (langue des Inuits), est le nom moderne de la terre ancestrale des Inuits du Québec. Le territoire terrestre du Nunavik s’étend sur environ 500 000 kilomètres carrés, soit un tiers du territoire du Québec. Cette région, qui se distingue par ses aspects socio-économiques et culturels, inclut également des îles au large des côtes auparavant occupées par les Inuits qui y pratiquent encore la chasse, la pêche et la chasse au phoque – activités toujours importantes. Les Inuits (mot qui signifie « les Gens », de « inu » [être humain] et « it » [beaucoup]) sont les autochtones du Canada arctique. Les Inuits du Nunavik sont divisés linguistiquement entre ceux qui parlent le dialecte de la côte ouest de Tasiujarjuaq et ceux qui parlent le dialecte du nord et de l’est de Nuvummiut Tarranga, dialecte lui-même géographiquement proche de celui de la côte du Labrador.

 

Le climat : Les hivers sont longs, froids et plutôt secs; les étés sont frais, brefs et pluvieux. Des orages éclatent fréquemment au printemps et à l’automne, saisons où les conditions sont variables. Le thermomètre descend jusqu’à -40°C en janvier ; en juillet, il oscille entre +10° et +20°C. Chaque année compte environ vingt-cinq jours sans gel. La neige peut tomber d’octobre à juin et la couche de neige atteindre deux mètres. De novembre à juin, la côte est habituellement prise dans les glaces et la période de navigation est donc assez brève. Les sites les plus au nord profitent de longues journées d’été (20 à 22 heures de clarté par jour en juin) et de courtes journées d’hiver (5 heures en décembre).

 

Un peu d’histoire (d’après Ludger Müller-Wille) : La région du Nunavik a tout d’abord été occupée et colonisée par les ancêtres préhistoriques des Inuits, qui campaient surtout sur les côtes de façon saisonnière, pêchant et chassant les mammifères terrestres et marins. En 1610, Henry Hudson et son équipage, premiers explorateurs européens à pénétrer dans cette région, rencontrèrent des Inuits dans les îles et sur la côte du Nuvummiut Tariunga (détroit d’Hudson). Depuis lors, le Nunavik a été intégré petit à petit aux systèmes socio-économiques, politiques et administratifs du Canada et du Québec. La plupart des Inuits du Nunavik ont renoncé à leurs titres aborigènes et à leurs droits sur leurs terres ancestrales lorsqu’ils ont négocié et signé la Convention de la Baie James et du Nord québécois en 1975. Cet accord était la condition préalable aux premières étapes d’un projet hydro-électrique colossal. De nos jours, la région lutte pour obtenir son autonomie gouvernementale afin de répondre aux besoins et aux exigences futurs d’une population qui connaît une croissance rapide. Il est à noter qu’à l’ouest du Nunavik, les Inuits sont aux commandes de la Province canadienne du Ninavut (“Notre terre” en Inuktitut) créée le premier avril 1999.

 

La Dre Marie Ève Cotton va nous faire une communication à Ottawa intitulée : « Les représentations des maladies mentales dans la culture Inuit ». Ajoutons que de nombreux Inuits résident à Ottawa. La communication « Particularités du traitement des toxicomanies auprès des autochtones en milieu urbain », du Dr Mario Douyon de Azeivedo, médecin spécialiste en toxicomanies à Ottawa, qui soigne principalement des Amérindiens,pourra nous dire quelques mots sur la prise en charge des Inuits d’Ottawa.

 

Les Mohawks 

 

Le Pr Jean Dominique Leccia, Professeur adjoint au département de psychiatrie de l’université McGill de Montréal, psychiatre à Kahnawake territoire Mohawk proche de Montréal (voir son site : http://www.geomental.com/), informe qu’il y aura à notre congrès d’Ottawa un bloc de quatre interventions avec éventuellement une animation. Ces quatre interventions, préparées avec ses amis Mohawks évoqueront diverses facettes de la pratique psychiatrique dans la réserve amérindienne.

 

Le Pr Jean-Dominique Leccia, d’origine corse, a participé à la création des urgences psychiatriques parisiennes, où il a travaillé pendant 10 ans dans divers hôpitaux parisiens (Hôtel-Dieu, Lariboisière). Il a exercé par la suite 15 ans en Abitibi au Nord Ouest du Québec, où il retourne quelques jours chaque mois. Depuis plus de 10 ans, il pratique essentiellement sur la Rive Sud de Montréal, dans diverses villes, et dans le territoire mohawk de Kahnawake. Ses publications soulignent le rôle que joue l’espace dans l’étiologie des troubles cliniques, notamment en milieu urbain.

 

3b-Réserve-Kahnawake Le Pr Jean Dominique Leccia nous introduit sur la réserve de Kahnawake où il travaille depuis cinq ans en collaboration avec une équipe d’intervenants Mohawks d’orientations diverses, dont des traditionalistes. Il nous a écrit :

 

«Kahnawake, une communauté Mohawk de 10000 habitants est située à 10 kilomètres de Montréal, sur la rive sud du St Laurent. C’est une réserve urbaine. Mais contrairement aux villes qui l’entourent, elle n’est pas une simple banlieue américaine. Établi en 1616 le village était déjà important et prospère en 1876, au moment ou l’Indian Act place les Amérindiens en position de peuples colonisés. Les pensionnats religieux au 20e siècle ont par la suite jusque dans les années 60 continué la tache, coupé  les enfants de leur famille et de leur culture, les privant de leur langue pour mieux les assimiler.

 

La Nation Mohawk puissante et combative a toujours défendu son identité lorsqu’elle était  menacée. Pour survivre économiquement, elle a même immigré  aux Etats-Unis, où ils sont reconnus comme des «iron workers »  capables de travailler dans les hauteurs pour construire ponts et gratte-ciel notamment a Manhattan. Résistance culturelle aussi, une  organisation sociale et une conception du monde identitaires dont ils vous parleront.

 

Aujourd’hui Kahnawake, connaît un boom économique, qui permet de réhabiliter la langue Mohawk, tenir des Pow Wow, restaurer l’histoire, mais aussi profiler un futur  avec des médias modernes, reconstruire une identité, quand dans la nuit, le St Laurent reflète les lumières de la métropole juste, sur l’autre rive. Un défi historique et géographique. »

 

Le Pr Jean-Dominique Leccia va organiser une réception du groupe des psys français par les Mohawks le 10 octobre 2013, à Kahnawake.

 

La communication d’un psychiatre amérindien Cherokee-Lakota

 

4-Lewis-Mehl-Madrona-2012Il s’agit de la communication intitulée « Pratique autochtone et médecine narrative », du Pr Lewis Mehl Madrona, Professeur assistant à la clinique psychiatrique de l’Université d’Arizona, et à l’université du Vermont où il réside, qui est un Amérindien Cherokee-Lakota. Le Pr Lewis Mehl Madrona, né dans le Kentucky, s’est fait connaître par sa trilogie de « Coyote » dans laquelle il examine les pratiques de guérison des Amérindiens Lakota et Cherokee, explique comment les traditions se croisent avec la médecine conventionnelle. Il est diplômé en psychiatrie, en gériatrie et en médecine familiale. Pour en savoir plus, on peut visiter son site : http://www.mehl-madrona.com/.

 

En conclusion, le congrès Psy Cause à Ottawa donne une large place à ces communautés appelées aussi « Premières Nations » dont le musée des civilisations d’Ottawa brosse une magnifique exposition. Rappelons que d’autres communautés, immigrées, seront l’objet de communications, en particulier les communautés maghrébine et haïtienne.

 

Jean Paul Bossuat

 


(1) Catalogue de l’exposition Aux couleurs de la terre. Héritage culturel des premières nations
Musée McCord, 1992

 

Écrire les chiffres et les lettres apparus ci-dessous, dans le rectangle en dessous