Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Le N°70 de la revue Psy Cause est en ligne sur notre site

La diffusion du N°72 auprès des abonnés étant achevée, nous mettons gratuitement à la disposition de nos lecteurs le N°70 (dernier quadrimestre 2015) dont l’originalité réside dans un « cahier japonais », c’est à dire un dossier qui rassemble des communications au congrès Psy Cause à Kyoto (octobre 2014) et divers autres textes d’auteurs japonais. Ce numéro est à retrouver dans la rubrique de la barre du haut de la page d’accueil « Anciens Numéros ».

Lien : http://www.psycause.info/revue-70/.

L’éditorial est cosigné, comme il est devenu de tradition depuis le premier numéro de l’année 2014 (N°65), par les deux fondateurs de la revue (les Drs Jean Paul Bossuat et Thierry Lavergne). Il répond à la question : pourquoi écrire en français dans une revue scientifique internationale ? Ce qui ne va pas de soi lorsque l’on réside dans un pays francophone, est encore plus inhabituel au Japon. Or, lors de notre congrès de Kyoto, tous les communicants japonais ont tenu à s’exprimer dans la langue française. La clinique française est très présente dans cet archipel de l’Extrême Orient, ce qui fut, pour les congressistes français, une découverte.

 

Le Pr Shigeyoshi Okamoto, psychiatre spécialiste de la Thérapie de Morita, a en grande partie managé le congrès de Kyoto dont il a été le Président japonais. Son article ouvre donc le dossier. Il y expose l’essence de cette thérapie d’essence bouddhiste zen, avec quelques influences de la psychiatrie allemande et américaine. Cette thérapie formalisée entre les deux guerres par Morita, un psychiatre japonais, a été mise en pratique à l’Hôpital Sanseï de Kyoto, un établissement dont un temple zen est propriétaire, et qui fermera ses portes avant d’être rasé, quelques semaines après notre visite. Le Pr Shigeyoshi Okamoto a fait de ce congrès la cérémonie de clôture d’un établissement presque centenaire. Ce « cahier japonais » est conçu également comme un témoignage et ce N°70 va être largement diffusé au Japon. L’auteur de l’article resitue la Thérapie de Morita dans sa dimension philosophique, à une époque où « en dépit des progrès considérables de la technique scientifique et de l’élévation du niveau de commodité de la vie sociale, en dépit du développement de soins médicaux de pointe et de la découverte de nouveaux traitements, l’homme ne peut éviter la mort. » Il ajoute : « si l’homme se regarde et regarde la situation dans laquelle il est placé, il réveille son cœur pur. Une fois son cœur pur réveillé, il ne pourra plus s’arrêter et il sera obligé de se mouvoir vers quelque chose. »

 

Le second article est une réflexion de deux congressistes qui avaient fait le voyage de Kyoto en octobre 2014. La première, Mme Nyl Erb, ethnopsychanalyste japonisante à Colmar, s’était inscrite par le hasard d’une recherche internet via google. Elle faisait une recherche sur la Thérapie de Morita et la seule référence disponible sur le net était … Psy Cause. La seconde, la Dr Muriel Falk Vayrant, psychiatre chef de service à l’Hôpital Psychiatrique de Clermont de l’Oise, était depuis de nombreuses années une fidèle des voyages/colloques organisés en divers pays de la planète par notre association/revue. Les deux auteurs décrivent leurs impressions d’occidentales à l’occasion de leur découverte à Kyoto de la Thérapie de Morita : « quelle n’a été notre surprise (…) en découvrant une thérapie au premier abord point par point opposée à nos conceptions de thérapie analytique. » Mme Nyl Erb et la Dr Muriel Falk Vayrant font le constat qu’en Occident, la pensée s’appuie sur l’agora de la Grèce antique, c’est à dire sur la parole et la dialectique, donnant la place à une analyse constructive structuraliste. Alors qu’en Extrême Orient, le bouddhisme expose une vision de la réalité qui s’acquiert par un enseignement, des entrainements et des exercices pour parvenir à voir les choses « telles qu’elles sont », afin d’atteindre l’éveil et la libération. Elles concluent que, malgré leurs différences, « les deux philosophie du monde tendent vers un idéal commun impossible fait de paix et de bonheur de tous et de chacun, individuel et collectif. »

 

L’auteur du troisième article, le Pr Kei Seko, est Professeur de neurologie et directeur d’un hôpital de Kyoto. Il apporte un témoignage, celui de l’accès à l’Arugamama, « l’être tel quel », qui est la voie de Morita. Et sa propre approche philosophique de la vie. Il nous dit : « Lorsque, par exemple, on se tient tout seul sous des arbres verts baignés de la lumière agréable du soleil, ou que l’on contemple calmement tout seul des vagues, grandes et petites, qui battent le bord de la mer, il est alors possible de ressentir que l’on est rien d’autre qu’un grain de sable, qu’un élément de la nature immense, et que l’on vit sous l’éternelle loi de cette même nature. » Il précise : « Les mots font souvent obstacle à cette compréhension. Vivre en suivant la méthode de Morita par « arugamala : l’être tel quel », c’est vivre en prenant pour base cette vérité et cette perception. » Tout être vivant, selon lui, recèle une parcelle du cosmos constitué des montagnes, des plantes, c’est à dire de ce qui constitue la loi de la nature, la bouddhéité. L’accès à cette bouddhéité implique une prise de distance des rets de la pensée, et le Pr Kei Seko de constater : « la plus grande partie du corps humain, cerveau compris, fonctionne merveilleusement sans intervention de la conscience. »

 

Il existe au Japon une active communauté de psychanalystes lacaniens francophones. L’un d’entre eux, le Dr Kiyoshi Shiraishi, a communiqué lors de notre congrès de Kyoto et rédigé le quatrième article du « cahier japonais ». Il exerce à l’hôpital de Fukukoa, ville située dans le sud du Japon à la pointe nord de l’île de Kyushu, en tant que pédopsychiatre chef de l’unité de soins pédopsychiatriques et chef des Centres d’Orientation et d’Adaptation. Il signale dans son article l’apparition, chez les jeunes au Japon, d’une nouvelle pathologie : l’hikimori. Elle consiste en un isolement volontaire au domicile, avec une absence de liens socio-familiaux et avec parfois, des actes violents envers des membres de la famille. Les statistiques officielles du ministère de l’éducation nationale estiment à un demi million le nombre de sujets atteints, mais ces chiffres sont largement sous-estimés. L’univers d’internet et des mangas en serait la cause. Les enfants jouent de plus en plus en plus seuls. Il présente une analyse lacanienne de ce phénomène.

 

 

Suit un article sur le Corps mythique et la psychosomatique au Japon en deux volets, issus d’une même équipe de l’Ecole doctorale des études humaines et environnementales de l’Université de Kyoto. Ce travail témoigne du niveau d’excellence de la psychanalyse lacanienne japonaise, et d’une parfaite maîtrise de la langue française. Le premier volet est rédigé par la chercheure en anthropologie Akiko Okada. Selon elle, le concept lacanien d’imagos du corps morcelé est important dans la théorie psychanalytique du stade du miroir comme dans la clinique des psychoses. Elle trouve que le développement de ce concept est dans une relation étroite avec la chose freudienne, au centre de laquelle, comme le signale Lacan, se situe le concept kleinien de l’intérieur du corps maternel. L’auteure évoque alors les corps des déités japonaises apparaissant comme morcelées en liaison avec la parturition du corps maternel, ainsi que la représentation fantasmagorique du fœtus intra-utérin comme une chose par des instruments bouddhiques. Elle pense dès lors que le corps morcelé et la chose freudienne portent sur l’identification primordiale au «temps mythique» (Lacan) du sujet parlant à son propre corps.

 

Le second volet est rédigé par le Professeur d’anthropologie Kasushige Shingu. Ce dernier considère que, pour retrouver le fondement de la thérapie en psychosomatique au Japon, il convient de réintroduire le concept de l’inconscient, surtout en se basant sur les fonctions du rêve et des points de fixation. Il présente deux cas cliniques des maladies psychosomatiques, où les patients déploient le fantasme original qui montre clairement ce qu’appelle Ernest Jones la superposition structurale du rêve et du symptôme. Il y reconnaît une mémoire matérielle qui s’est formée à l’âge infantile entre l’enfant et l’adulte, qui se conserve dans le point de fixation et qui réapparaît dans le symptôme psychosomatique. Les imagos du corps morcelé et, au Japon, l’usage homonymique des caractères Kanji, sont les manifestations caractéristiques du point de fixation, qui peuvent s’étendre dans le transfert, en permettant les symptômes psychosomatiques d’être traités par la psychanalyse. Il conclut ainsi : « ce qui subsiste réellement comme une mémoire matérielle dans l’inconscient au niveau psychosomatique, ce sont les points de fixation et le corps morcelé, qui sont à traiter d’une façon psychanalytique. »

 

Suivent deux articles sociétaux qui ont comme dénominateur commun le statut social de la femme au Japon. Le premier de ces deux textes est rédigé par la Dr Eri Muso, Directrice du Département de néphrologie et Membre exécutif du conseil d’administration, à l’Hôpital Kitano, de Kyoto, ex-Chef du Comité pour l’égalité entre les sexes de la Société de néphrologie du Japon. Selon la Dr Eri Muso, le nombre des femmes médecins est très inférieur au Japon à ce que l’on observe par exemple en France. Cette réalité s’origine dans la difficulté de travailler en tant que mère, et dans un blocage de la promotion dans une société dominée par les hommes. Des obstacles culturels hérités d’une mentalité sociale féodale limitent le positionnement de la femme au travail. Heureusement, la société évolue, encouragée en cela par le gouvernement.

 

Le second article sociétal, qui clôt le « cahier japonais », est une traduction en langue française d’un extrait d’un texte publié par l’auteur en langue japonaise. Il interroge l’œuvre et la vie de l’écrivain Mori Ôgai, sur la question de la modernité venue d’Europe, qui s’exprime en particulier dans le mouvement d’émancipation féminine. L’auteur de l’article, Naoki Ôishi, Docteur en littérature de l’Université Keiô de Tokyo, Professeur à l’Université Meiji et à l’Université Kyôritsu joshi de Tokyo, est spécialiste de littérature moderne et d’esthétique et notamment des grands écrivains japonais de l’époque moderne : Mori Ôgai, Natsume Sôseki.

 

La seconde partie du N°70 est ouverte hors thème. Tout en étant consacrée à la mémoire du Pr Mathieu Tognidé. La quatrième page de couverture lui rend également hommage. Rappelons qu’il fut, du côté béninois, l’inspirateur de notre premier (et encore à ce jour, seul) congrès international Psy Cause en Afrique Subsaharienne, lequel se déroula à Parakou en février 2008. Au premier semestre 2010, le Pr Mathieu Tognidé obtient du Conseil Africain et Malgache de l’Enseignement Supérieur (CAMES), l’accréditation de la revue Psy Cause. À partir du dernier trimestre 2010, l’équipe rédactionnelle de Psy Cause est restructurée avec la constitution d’un comité de rédaction francophone dont les membres échangent via internet et dont les propositions sont reprises lors des réunions au siège de la revue à Avignon. Le 17 septembre 2015, l’association béninoise de psychiatrie informait le président de Psy Cause international : « Le département de Santé Mentale FSS/UAC, le Centre National Hospitalier Universitaire de psychiatrie de Cotonou (CNHUP) et l’association béninoise de psychiatrie, ont le profond regret de vous annoncer le décès du Docteur TOGNIDE C. Mathieu, Professeur titulaire de psychiatrie et directeur du CNHUP, le dimanche 13 Septembre 2015 au CNHU de Cotonou des suites d’une courte maladie. »

 

Deux articles français ouvrent cette seconde partie du N°70. Le premier est le texte d’une communication lors de notre second colloque Psy Cause France au Château de Rochegude (2015) qui avait pour thème « Les troubles bipolaires ». L’auteure, Mme Annabelle Montagne, psychologue clinicienne au Centre Hospitalier de Montfavet, écrit : « la logique nosographique psychiatrique actuelle est posée en termes de troubles de l’humeur, éloignant le soignant d’une lecture structurale de la pathologie psychique. À ce titre, la psychose n’est plus considérée comme intrinsèque au TBP. Elle reste un enjeu de la compréhension de la souffrance du sujet. La psychanalyse maintient des perspectives d’investigation psychopathologique sous l’angle de la singularité du sujet. En ce sens, le statut de l’objet et la place du narcissisme sont articulés dans l’approche du maillage subjectif spécifique du processus maniaco-dépressif. Le moi du sujet mélancolique, inélaboré sinon inélaborable, porte l’ombre d’un objet absent qui entretient sa souffrance masochiste. Absent de sa propre vie et du lien à l’Autre, le sujet y exprime l’énigme de son existence. La clinique offre parfois l’expérience d’une rencontre avec le patient sur le lieu de cette énigme, là où quelque chose de lui en tant que sujet n’a pas pu advenir. Peut-on faire advenir l’objet et faire vivre le présent ? » Elle cite l’exemple de Beaudelaire (image ci contre) qui nous renseigne sur la nature fusionnelle de la relation du futur mélancolique à sa mère.

 

Le second article français nous vient de Saint Laurent du Maroni en Guyane. Mr Pascal Schindelholz, cadre infirmier, écrit à propos du concept d’infirmier référent en psychiatrie. Il introduit ainsi son sujet : « Infirmier référent est un concept issu de la psychothérapie institutionnelle. Cela signifie qu’il porte en lui les pratiques humanistes en service de psychiatrie. L’une des particularités de ce courant est de considérer le patient, bien que malade, comme le propre acteur de sa thérapie : L’infirmier référent vise alors, de par le partenariat qui est crée avec le patient, à lui donner une place d’acteur du soin et co-instigateur du projet de soins personnalisé le concernant. Il est à différencier fortement de l’infirmier référent tel que le conçoit l’EBM (Evidence Based Medecine) et qui investit un champ clinique spécifique tel la douleur, les plaies et cicatrisation, l’hygiène… pour lesquelles il va utiliser les meilleures données scientifiques pour le prise en charge personnalisée de chaque patient dans le domaine à acquit une expertise. »

 

Suit un article ivoirien sur une thérapie de groupe traditionnelle : le bouami. L’auteur, Jérôme N’cho Kpatta, est un sociologue – anthropologue. Cette étude descriptive vise à construire scientifiquement le rite bouami pour en jeter les premières bases de sa formalisation en tant que psychothérapie de groupe. Issu de deux syllables boua ou boa signifiant ‘‘procession’’ et mi traduisant ‘’danse’’, ce rite est en réalité une danse de procession exécutée pour soulager toute une communauté frappée par un choc accidentel. Le bouami repose sur des éléments symboliques majeurs qui, grâce à leur exécution répétée, agissent voire impactent sur le biologique et le psychologique des individus tout en puisant leur efficacité dans le bassin culturel. Ainsi, le corps au départ impur se purifie par la symbolique de l’eau et se régénère par celle de la feuille de l’arbre.

 

Un chercheur du département de psychologie de l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan-Cocody, Simon Konan Kouamé, a étudié sous l’angle comportemental la prévention des infections au virus Ebola. Il écrit : « depuis sa réapparition en Afrique occidentale en mars 2014 (OMS, 2014), la fièvre hémorragique à virus Ebola, est vue comme l’épidémie la plus sévère et la plus complexe qu’ait connu le continent. Malgré les mesures de prévention mises en place, certaines populations continuent leurs anciennes pratiques. Ces comportements motivent cette recherche qui vise à expliquer les infections à virus Ebola sous l’angle des processus cognitifs comme l’attribution causale et les distances cognitive et affective. »

 

Deux anthropologues, Marcel Blé Yoro et Atta Kouamé, étudient l’épilepsie dans l’ethnie Bété de Côte d’Ivoire. Selon eux, l’épilepsie se manifeste sous plusieurs formes et suscite en pays Bété, honte, peur et rejet. Une réflexion à partir du concept de représentation sociale auprès de douze informateurs clés interrogés à l’aide d’entretiens semi-dirigés, les aide à comprendre comment et pourquoi il en est ainsi. Il ressort des résultats que la honte est principalement liée aux manifestations spectaculaires de la maladie, à son caractère imprévisible et au fait qu’elle est déclenchée en présence du public, donc une maladie non dissimulable. La peur qui entoure cette pathologie s’explique par le fait que ses manifestations symptomatiques s’apparentent à la mort, car non seulement les yeux du malade se tournent de côté comme ceux d’un cadavre, mais aussi il n’a pas conscience de ce qui lui arrive. Le rejet de la maladie et de sa victime est surtout lié au fait que l’épileptique est condamné au célibat chez les bété, ce qui met en cause toute possibilité de procréer, facteur de rupture de la descendance.

 

Le dernier article de ce N°70 a pour auteur principal le Pr Kapouné Karfo, psychiatre au CHU de Ouagadougou (Burkina Faso). Il observe que les conduites alimentaires inhabituelles ont connu ces dernières années un regain d’intérêt dans la littérature scientifique. Mais celles apparaissant chez la femme en grossesse semblent être peu étudiées, surtout dans la ville de Ouagadougou. Elles sont sujettes à controverse quant à leurs étiologies et à leurs interprétations socioculturelles. Pourtant, leurs complications restent graves, aussi bien sur la santé de la mère que sur celle de l’enfant. L’étude vise à en faciliter la prise en charge pour prévenir leurs complications graves pour la mère comme pour l’enfant.

 

L’intégralité de ce numéro 70 est à retrouver à http://www.psycause.info/revue-70/

 

Jean Paul Bossuat

 

 

 

 

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