Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Pour la création d’un fonds documentaire sur l’œuvre de François Grisoni, le 6 octobre 2011 au Centre Hospitalier de Montfavet (Avignon)

5-Hommage4-Karine-Albernhe3-Rodriguez2-Thérèse-Vivant1-Jean-Luc-Metge-6.10.11Didier Bourgeois, médecin chef du pôle Avignon sud Durance à Montfavet et secrétaire de rédaction de Psy Cause, a organisé au titre de notre revue ce 6 octobre, une après-midi consacrée à un hommage à François Grisoni décédé le 9 mai 2011. Il y adjoint le lancement de l’idée de la création d’un fonds documentaire sur l’œuvre immense de ce psychiatre aux multiples facettes qui dirigea un service et un département de 1975 à 1992 au Centre Hospitalier de Montfavet.

Didier Bourgeois, dans son allocution d’ouverture, rappelle les séminaires/marathons qu’il organisait depuis 1979, l’atmosphère particulière de son service… Et qu’en 1991 et 1992, François Grisoni était content de prendre prochainement sa retraite, de partir, parce qu’il sentait que les gens au pouvoir n’avaient plus les mêmes valeurs que lui. L’empreinte de François Grisoni se conjugue sur trois axes. Le premier est bien sûr celui du praticien de la thérapie psychocorporelle d’inspiration reichienne, de la bioénergie. Il existe aussi un second axe, celui d’un médecin convaincu de l’intérêt de l’art-thérapie et plus généralement de la place de la culture dans l’hôpital dans un but déstigmatisant. La cité devait venir à l’intérieur de l’hôpital. Les « normopathes » devaient y entrer. C’est ainsi qu’André Benedetto, l’un des hommes de théâtre fondateurs du Off au festival d’Avignon, vint dans le service de François Grisoni où il écrivit avec lui une pièce : « Un autiste, un soir » qui fut jouée en 1989. Ce que l’on reconnaît aujourd’hui comme une vitrine de l’hôpital de Montfavet autour des activités à médiation artistique et créatrice, c’est lui qui l’a lancé dans son service. Enfin, le dernier axe est celui du médecin chef organisateur hors pair qui connaissait bien l’institution et ses méandres. Il avait créé l’un des premiers départements de psychiatrie groupant à l’époque deux secteurs, mais sur les bases d’un secteur fort, pas pour des raisons de concentration de moyens. Ajoutons qu’il fut aussi un formateur hors pair, inlassable, qui a formé et régulé des générations de soignants et d’internes en psychiatrie.

Didier Bourgeois rappelle que François Grisoni a beaucoup enseigné et peu publié. Il a laissé à sa mort d’importantes archives qu’il est urgent de conserver. Il laisse ensuite Karine Alberhne qui, après une longue carrière de psychiatre, se consacre désormais au théâtre qu’elle a étudié aux prestigieux cours Florent dont elle sortit première de sa promotion, et Jean Rodriguez psychiatre animateur de l’association de patients vauclusiens « La vie en roses » dans laquelle il pratique le théâtre, nous lire et jouer la pièce « Un autiste, un soir ». Cette pièce s’inspire de prises en charge des autistes du service de François Grisoni alors appelés les innommables.

Nous écoutons ensuite le témoignage de Thérèse Vivant, permanente des CEMEA à la délégation de Marseille, dont la rencontre en 1975 avec François Grisoni fut déterminante pour la mise en place d’un enseignement du maître. Elle insiste sur le rôle fondateur de l’intervention de François Grisoni dans les CEMEA italiens suite à la demande qu’elle lui avait faite. Il intervint dans trois villes : Rome, Florence et Vérone. L’initiative vint de Rome où des éducateurs, psychologues et celles que l’on appelait alors puéricultrices, voulaient un psychiatre. Se mit en place un long cursus de stages sur le mode du psychodrame où les gens s’engageaient pendant trois ans à raison d’un week-end tous les un mois et demi. « Je me souviens, nous dit-elle, que c’était à côté d’un cimetière étrusque ». Les Italiens (de Rome, puis des deux autres villes car le renom de François Grisoni s’est vite répandu comme une trainée de poudre) ont découvert par lui le travail en groupe. Et cette formation payante pour les individus, a apporté beaucoup dans les institutions dont ils dépendaient. « François passait pour un François d’Assise qui faisait des miracles. » Il était un homme d’une grande curiosité et son « œil » était très perspicace. Sa recette à Montfavet ensuite, était dans son service de permettre aux gens de décompenser et de disposer dans un second temps du temps nécessaire pour qu’un travail sur l’énergie les remette sur pieds. Il y avait à l’époque quelque chose qui n’existe plus : un travail d’équipe.

Didier Bourgeois rappelle que François Grisoni s’était vu attribuer à son arrivée comme chef d’un nouveau service, des unités de « défectologie » dont ses collègues voulaient se débarrasser. Il avait insisté pour en avoir alors plusieurs afin d’avoir des moyens suffisants pour créer une dynamique institutionnelle autour de ces patients.

Jean Luc Metge, psychiatre chef de service à Martigues, nous raconte son vécu d’interne dans le service de François Grisoni en 1975 et 1976. « Il y avait chez ce dernier réellement la mission de service public et comment rendre opérante la politique de secteur. Il fut l’un des premiers à créer un conseil technique de secteur (ancêtre des conseils de santé mentale). Il avait structuré son service autour d’une part le dossier de soins partagé entre tous les soignants, et d’autre part la réunion de régulation où tout le monde pouvait venir et donner son avis, chacun ayant le droit d’avoir des problèmes. »

Dans le dossier de soins, il y avait entre autre une feuille de décisions car François Grisoni estimait que la crise du sujet ne pouvait pas laisser place au laxisme. Les médecins devaient prendre leur responsabilité pour poser un cadre, dont l’inscription d’une durée de l’hospitalisation. Le groupe des infirmiers pouvait écrire aussi sur cette feuille. François Grisoni croyait dans la nécessité de mesures contenantes comme l’isolement qui nécessitait des soins encore plus importants. Il avait créé à côté de la chambre d’isolement un « espace de soins attentifs » où le patient pouvait bouger, un espace de réapprentissage de la liberté. Jean Luc Metge a repris ce concept à Martigues.

François Grisoni a été celui « qui permettait à son équipe de respirer ». On avait le droit de parler et de faire des propositions. Selon lui, il fallait interroger les normes et les règles. Dans le pavillon des autonomes, les patients avaient les clés. Il avait hospitalisé un patient et son chien. Lorsque la règle ne dit pas que c’est interdit, cela ouvre des solutions pour les patients. « Mais aujourd’hui, avec les lois sécuritaires, le poids de l’administration et la raréfaction des moyens, nous avons envie de crier : François, réveille-toi, ils sont devenus fous ! »

À l’issue des échanges qui font suite à ces témoignages, Didier Bourgeois lance l’idée de la création du fonds documentaire, en présence de membres de la famille de François Grisoni : « surtout maintenant, ne rien jeter ». Il existe « quatre garages » de documentation car François Grisoni notait tout, filmait ses thérapies psychocorporelles pour rechercher des indices non verbaux de l’action du soin et enregistrait ses séminaires. Il y a donc un énorme travail de conservation avant que des chercheurs puissent exploiter les documents. Déjà, la revue Psy Cause, partenaire de la création de ce fond, va publier dans le N°60 un texte de François Grisoni sur ses groupes de formation et ses concepts théoriques, rédigé pour l’information du personnel de l’hôpital.

Didier Bourgeois annonce en conclusion que d’autres séances Psy Cause consacrées à un travail de mémoire de nos anciens à but de transmission, seront programmées à Montfavet.

Jean Paul Bossuat

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