Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Psy Cause en Guyane (carnet N°3). Sur le Haut Maroni

23-Josiane-avionLe lundi 7 mars, nous embarquons dans un petit avion d’Air Guyane à l’aérodrome de Saint Laurent du Maroni, en compagnie d’une infirmière de secteur du CMP, Mme Josiane Bailly. La destination du vol est l’aérodrome de Grand Santi, à 150 km au sud. Ce village de 3500 habitants est une commune à part entière depuis 1992. Relié par avion depuis deux années environ, il était auparavant à une demi-journée de pirogue de l’aérodrome le plus proche (Maripasoula). Cette semaine, l’équipe du CMP, composée de Mme Josiane Bailly et de la Dr Marie Delahaye que nous allons retrouver sur place, est en « mission sur le fleuve » à Grand Santi.

 

 

 

 

24-aerodrome-Gd-SantiLe thème retenu par le pôle de psychiatrie de Saint Laurent du Maroni pour notre visite est de sensibiliser le président de Psy Cause aux spécificités de la prise en charge psychiatrique de populations isolées. En l’occurrence, ces populations de notre lieu de destination sont constituées de noirs marrons, c’est à dire de descendants d’esclaves évadés, vivant sur les deux rives du fleuve Maroni (au Suriname et en France, à Grand Santi). Ces habitants appartiennent à l’ethnie Djuka. Leur langue, le Djuka, fait lien à ce niveau du fleuve.

 

Nous avons rendez vous ce 7 mars à 13 heures 30 au lieu de consultations 25-cabinetpsychiatriques, un petit bâtiment provisoire en bois situé tout contre le dispensaire de médecine générale qui dépend du Centre Hospitalier de Cayenne. Tout contre également, des engins s’activent dans la construction du « Centre Délocalisé de Prévention et de Soins de Grand Santi » qui regroupera prochainement les actuels locaux du dispensaire et de la consultation psychiatrique. Le Haut Maroni est en pleine mutation, et pas seulement au niveau des chantiers.

 

 

 

 

 

 

26-DelahayeEn ce premier jour à Grand Santi, la Dr Marie Delahaye nous présente le cadre général de sa pratique sur un territoire qui s’étire le long du fleuve sur près de 300 km. Depuis, au sud, le village améridien d’Antecume Pata, puis Maripasula, Papaïchton, Grand Santi, Apatou, et, en aval de Saint Laurent du Maroni à l’embouchure du fleuve, la localité amérindienne d’Awala-Yalimapo. Elle effectue une rotation sur le mois entre ces différents lieux. Elle nous parle avec une certaine passion de son actuel engagement au service des peuples du fleuve. Il se passe quelque chose de l’ordre d’une rencontre, pour cette jeune psychiatre d’origine grenobloise formée au CHU de Genève où elle était chef de clinique.

 

Elle nous expose le contexte humain des populations du Maroni. L’alcoolisme et le suicide chez les Amérindiens sont des symptômes du drame de l’acculturation. Une action de prévention sur la problématique de l’alcool est en cours à Maripasoula. Elle nous parle également des esprits Baclous chez les Bushinengué, dénomination générale des noirs marrons dont les Djuka sont une sous cathégorie. Les problèmes psy peuvent être considérés comme l’œuvre de ces esprits mobilisés par un chamane.

 

28-retour-elevesLa Dr Marie Delahaye nous parle du malaise des enseignants qui viennent souvent consulter. Ils sont confrontés au bas niveau de leurs élèves lié à deux facteurs : le problème de la langue car à Grand Santi, par exemple, la langue véhiculaire des enfants est le Djuka utilisé sur les deux berges française et surinamienne du fleuve ; également le manque de stimulation des enfants fatigués par des taches ménagères et le travail dans les abattis. S’ajoute l’inadéquation des enseignants à leur tâche. Les professeurs titulaires ne sont pas demandeurs pour des postes qui leur ont été imposés et qui nécessiteraient une forte motivation. Les professeurs contractuels sont des volontaires mais n’ont pas la formation nécessaire pour la complexité de ce qui leur est demandé.

 

29-parfaitLa Dr Marie Delahaye enchaîne sur les rigidités de l’administration du département. Elle évoque des stocks de moustiquaires destinées à des chambres d’enfants bloqués pour un problème d’AMM. Elle observe que les suicides par l’ingestion de Paraquat, un herbicide, chez les Bushinengué, entraine plus de morts que le paudisme et que l’ARS ne semblerait pas avoir pris la mesure du problème. Le président de Psy Cause suggère une coopération des professionnels de la psy qui interviennent sur le terrain, au niveau d’une enquête épidémiologique afin d’apporter aux interlocuteurs de l’état, les arguments qui pourraient les éclairer et leur permettre de dégager les moyens et mesures appropriés. Nous sommes là dans le champ proprement dit de la santé mentale.

 

30-mairieLes échanges s’achèvent sur l’évolution sociétale dans l’Ouest Guyanais. Depuis la guerre civile du Suriname et la faillite économique de ce pays, les créoles sont devenus minoritaires à l’est du Maroni y compris à Saint Laurent du Maroni. La langue créole a perdu beaucoup de terrain. Ce qui aggrave la complexité linguistique au niveau des soins. D’autres langues s’imposent à présent. Le différentiel de niveau de vie entre des membres d’une même ethnie voire d’une même famille entre les deux rives d’un même fleuve (côté Suriname ou côté français) contribue à une forte immigration. Les statistiques annoncent que dans les années 2020, Saint Laurent du Maroni sera plus peuplée que Cayenne.

 

31-marchandisesUn trafic très actif par pirogues s’établit à Grand Santi entre des magasins installés à l’ouest du Maroni et une population privilégiée installée à l’est qui vit grâce à des emplois publics, au RSA et aux allocations familiales. Nous verrons que les situations psychiatriques traitées en urgence sont très intriquées entre les deux rives. L’appel aux ressources en interprétariat du dispensaire de médecine générale permet à la consultation de psychiatrie de faire face à cette spécificité.

 

 

 

32-embarcadereLe 8 mars 2016, la Dr Marie Delahaye entre dans le concret de sa pratique de terrain à Grand Santi en nous associant à ses interventions professionnelles de la journée. Nous allons les résumer avec quelques exemples cliniques. La matinée est particulièrement agitée avec une urgence psychiatrique sur le fleuve. Un psychotique en pleine décompensation refuse de se rendre à la consultation de Grand Santi. Les soignants montent à l’abordage dans sa pirogue en plein milieu du Maroni pour lui faire une injection. Le patient étant de nationalité surinamienne, impossible de l’hospitaliser sous contrainte sur Cayenne. L’injection de neuroleptique est savamment calculée pour un effet sédatif qui lui permet de piloter sa pirogue jusqu’à son domicile.

 

33-classe-collegeLa journée de consultations de la Dr Marie Delahaye comporte diverses interventions relevant de la pédopsychiatrie. La psychiatrie adulte et la psychiatrie infantojuvénile ne sont en effet pas séparées à Grand Santi. Tous les quinze jours, l’équipe de psychiatrie intervient au collège de cette commune. Ce 8 mars, viennent consulter un enseignant qui a une problématique de sommeil, deux adolescents, deux enfants, le premier pour inhibition et opposition, le second, hyperactif, pour une séance de relaxation.

 

Une autre situation à problème clôture la journée. La patiente ne parle pas français et a 34-Marleyété initialement programmée pour la matinée compte tenu de l’aide possible d’un interprète du dispensaire voisin à ces heures là. Sinon, il faut faire preuve d’imagination. Nos interlocutrices nous racontent avoir eu en consultation à Grand Santi deux patients psychotiques qui sont cousins et venus ensemble, le premier atteint d’une pathologie à expression déficitaire et le second atteint d’une pathologie à expression délirante. Le patient délirant, décompensé, a besoin d’une injection qu’il refuse. Impossible aux soignants d’argumenter car il ne parle pas le français. C’est le cousin déficitaire qui le convainc de prendre le traitement.

 

35-campouLa patiente reçue en urgence en cette fin d’après midi vit isolée dans un « campou », un hameau de quelques maisons accessible seulement en pirogue. Le délire de cette femme a alerté l’entourage qui obtient un rendez vous pour le matin. Mais elle s’échappe, se cache dans la forêt. Retrouvée, elle n’arrive qu’en fin d’après midi. C’est le maire de Grand Santi en personne qui se porte volontaire pour servir d’interprète. Elle sera hospitalisée à Saint Laurent du Maroni, véhiculée par la pirogue du dispensaire.

 

La Dr Marie Delahaye explique qu’il convient de faire preuve de créativité pour des prises en charge lourdes sur la durée. Ainsi une patiente psychotique bénéficie d’une prise en charge séquencée à l’Hôpital de Jour de Saint 36-sceneLaurent du Maroni. Elle y effectue des séjours réguliers alors qu’une parente l’héberge en ville. La question du suivi sur le long terme, poursuit notre interlocutrice, est centrale à Grand Santi. Ainsi, conformément aux bonnes pratiques, elle tente un allègement des traitements neuroleptiques établis depuis une longue durée. Mais il n’est pas aisé de suivre l’évolution symptomatique pour ajuster les doses. Le dispensaire de médecine générale aide au mieux pour palier aux absences de l’équipe de psychiatrie mobilisée sur plusieurs sites. Il s’agit d’ailleurs d’un échange de services qui fonctionne très bien, la psychiatrie assurant de son côté un travail de liaison auprès des patients somatiques. Quant aux familles, elles acceptent d’héberger le patient mais ont de la difficulté à aller au delà.

 

27-ConsultationLa Dr Marie Delahaye a pu constater une véritable attache des patients de Grand Santi qui, dans l’ensemble, reviennent consulter même lorsqu’ils sont décompensés. Ce n’est pas le cas partout dans le Haut Maroni, ajoute t’elle. Ainsi à Papaichton, il faut aller les chercher pendant les jours de consultation mais là bas la drogue fait des ravages. En conclusion, le centre de consultations psychiatriques de Grand Santi a un fonctionnement suffisamment adapté au contexte pour un bon résultat tant en terme de psychiatrie de secteur, qu’en terme de santé mentale. Il est dans les cartons qu’il devienne un CMP à part entière.

 

L’exemple de Grand Santi, que le pôle de psychiatrie de Saint Laurent du Maroni a organisé de nous faire découvrir, est un exemple d’un travail créatif mené auprès des populations du fleuve avec des moyens limités, et qui mérite d’être encouragé.

 

38-courrierJean Paul Bossuat

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1 Commentaires

  1. article très original et très captivant suscitant la rèflexion et l’damiration confraternelle pour le docteur Delahaye et son équipe.