Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Psy Cause en Guyane (carnet N°4). Awala-Yalimapo

40-HabitatLe jeudi 10 mars, Mme Isabelle Morel et Mr Pascal Schindelholz, cadres de santé du pôle de psychiatrie, qui ont managé l’accueil et la visite du président et de la responsable du marketing de Psy Cause pendant un peu plus d’une semaine, ont programmé une après midi de découverte, à l’embouchure du fleuve Maroni, du village amérindien Awala-Yalimapo. Cette commune de 1300 habitants a été créée en 1988 par séparation de la commune de Mana, selon le souhait des amérindiens Kali’na (appelés également Galibis par les Européens) qui y résident. Cette nouvelle entité est gérée à la fois par les autorités municipales élues et par les autorités coutumières amérindiennes qui bénéficient d’un arrêté reconnaissant la légalité de leur champ d’action. Mme Isabelle Morel et Mr Pascal Schindelholz nous précisent ainsi que l’accès à la propriété est strictement réservé aux Kali’na. Le fonctionnement d’Awala-Yalimapo a quelques points communs avec celui des réserves indiennes d’Amérique du Nord bien qu’il soit parfaitement intégré au tissu administratif d’un département français.

 

41-Carte-Kali'naÀ l’époque précolombienne, les Kali’na habitaient la côte de l’embouchure de l’Amazone (dans l’actuel Brésil) jusqu’à celle de l’Orénoque (dans l’actuel Vénézuéla). Ils partageaient cet espace avec les Arawaks contre lesquels ils étaient souvent en conflit armé. Sans être des nomades, ils n’hésitaient pas à effectuer de longs déplacements pour des échanges. Comme ailleurs en Amérique, l’arrivée des Européens, les « esprits de la mer », fut un désastre démographique avec son lot de guerres et de maladies. La présence du bagne n’arrangea pas les choses. Pour survivre, ils surent jouer de leur position transfrontalière entre le Suriname et la Guyane française. Aujourd’hui, près d’un tiers de la population d’Awala-Yalimapo provient d’amérindiens Kali’na de la rive surinamienne réfugiés lors de la guerre civile.

 

42-devant-centre-consultLe centre de consultations psychiatriques est aménagé au sein du centre commercial d’Awala-Yalimapo construit sous une immense toiture en bois à l’image des carbets de vie commune. C’est devant l’entrée du centre de consultations que Mme Isabelle Morel et Mr Pascal Schindelholz nous présentent les modalités de la prise en charge de cette population par l’équipe du pôle. La principale spécificité est dans le traitement de l’alcoolisme. Cette pathologie est un grand fléau des populations amérindiennes dans leur ensemble. Que ce soit dans les autres ethnies amérindiennes de Guyane, ou dans les réserves indiennes d’Amérique du Nord. La prise en charge individuelle, nous confie Mme Isabelle Morel, est inefficace : « nous mettons en place à Awala Yalimapo des prises en charge communautaires avec la contribution des autorités municipales et coutumières. »

 

 

 

 

 

43-posteCe vaste « carbet » municipal d’Awala-Yalimapo qui regroupe divers services et commerces est voisin de la mairie ainsi que du bureau de poste réputé être le plus petit de France. L’ensemble architectural a été conçu comme un espace symbolique de rencontre tout à fait cohérent avec les principes de vie de cette population amérindienne. Les habitations sont disséminées selon le même mode sur l’ensemble du vaste territoire communal d’Awala-Yalimapo qui recouvre l’extrême pointe nord de la Guyane Française. Il n’y a pas de place ici pour des rues bordées d’immeubles.

 

44-bagneÀ l’extrémité de la route qui traverse la commune Kali’na d’Awala-Yalimapo, en bordure de la plage de l’estuaire du Maroni où viennent pondre les tortues, se dresse, incongru, un vestige du passé de la Guyane : une antenne du bagne de Saint Laurent du Maroni. Cette cicatrice d’un lieu de souffrances n’est plus habitée que de fantômes d’un projet conçu par Napoléon III pour éloigner et punir les délinquants de manière dissuasive et qui dura un siècle. Nous allons revenir dessus dans le prochain et dernier carnet car le bagne de Guyane est une expérience pénitentiaire qui ne peut qu’interroger le psy.

 

45-bar-snackC’est à deux pas de cette sinistre ruine, dans un petit bar-snack amérindien au cœur d’un jardin et à proximité d’une boutique d’artisanat, que nous tenons notre réunion informelle de clôture, de bilan de notre repérage avec le pôle de psychiatrie de Saint Laurent du Maroni et de l’Ouest Guyanais. La pertinence d’un colloque fait consensus car il permettra de mettre en valeur le travail accompli par des équipes de dimension modeste par rapport à celles de Cayenne, alors que la population desservie est en passe de dépasser celle de la préfecture. Les enjeux sont de faire reconnaître le besoin de moyens nouveaux d’une part, et d’autre part de susciter des vocations pour des pratiques soignantes qui sollicitent la créativité. Nous nous orientons sur le plan pratique, vers environ deux journées de travaux dans une salle municipale voire dans un cinéma, avec une formule de restauration de type traiteur pour mieux gérer le temps du repas. En dehors de ces deux journées, une découverte du terrain sera organisée en fonction des possibilités logistiques sur le fleuve et aux environs de Saint Laurent du Maroni. Le groupe des congressistes non guyanais devra être d’une taille limitée compte tenu de l’infrastructure locale. L’information se fera par plusieurs canaux : le réseau de Psy Cause, l’AMPQ à Montréal et les contacts du pôle de psychiatrie de l’Ouest Guyanais.

 

46-jardinsDemeure la question de la date. Le mois de mars est « la petite saison sèche » plus aléatoire que la grande saison sèche des mois de fin d’été et de début de l’automne. Sur nos quinze jours de repérage en mars, nous n’aurons eu au final que deux journées de grandes pluies continues. Et en grande saison sèche, il peut y avoir des averses. La petite saison sèche a l’avantage, pour les congressistes nordistes, d’être en hiver. D’autre part, le temps de préparation du colloque doit raisonnablement se tenir dans le délai d’une année. Donc, mars 2017 peut être le meilleur compromis.

 

Le pôle de psychiatrie de Saint Laurent du Maroni a choisi de clôturer notre rencontre avec leur vaste secteur d’interventions psychiatriques, en ce lieu attachant qui a certes ses difficultés, ses souffrances mais aussi un incontestable parfum de succès dans une entreprise sociologique au service d’une communauté.

 

47-JahouveyNous conclurons ce carnet sur une autre réussite sociologique dont la commune voisine située à l’ouest d’Awala-Yalimapo, Mana, porte le témoignage et qui illustre que la Guyane peut être porteuse d’expérimentations réussies. Une religieuse, Anne Marie Jahouvey, fonda en 1828 la colonie agricole de Mana avec 36 sœurs de la congrégation Saint Joseph de Cluny qu’elle avait fondée sous le Premier Empire. D’une personnalité bien trempée, elle en fit le premier ordre missionnaire dans les colonies. En 1833, elle rentre en France après un semi échec, l’immense majorité des colons quittant Mana. En 1835, elle retourne à Mana où elle recueille du gouvernement 500 esclaves nègres qu’elle christianise et initie aux techniques des métiers. Son principe est de les éduquer et de développer leur capacité à s’assumer. En 1838, elle en affranchit un premier contingent de 185. Elle développe à Mana, au sein de la société esclavagiste de Guyane, un espace de promotion de la dimension humaine qu’elle maintiendra envers et contre tout jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1848. Mr Pascal Schindelholz et Mme Isabelle Morel, ont complété notre visite à Awala-Yalimapo par un temps devant le mémorial qui lui est consacré.

 

Jean Paul Bossuat

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1 Commentaires

  1. Bravo et félicitations pour ce reportage de secteur original et instructif.Un congrès apparait tout à fait indiqué pour valoriser et soutenir ces équipes.