Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Rochegude III : « Les processus de création ». 9 avril 2016. Volet N°3

Ce troisième et dernier volet est consacré aux quatre dernières communications, en après midi, dans le cadre de ce troisième colloque de Psy Cause au Château de Rochegude coordonné par le Dr Jean Louis Griguer.

 

Les deux premières, en rapport avec le thème de la rencontre scientifique, sont au cœur de la contribution partenaire de l’Association de Recherche en Art et Thérapie présidée par Mr Jean Louis Aguilar, lequel est président de séance toute l’après midi. (Le Dr Jean Louis Griguer ayant présidé le matin). Ce sont des contributions de terrain.

 

« L’intérêt d’installer un service d’art-thérapie en psychiatrie » : l’auteur, le Dr François Granier, psychiatre, se présente lui même : « je suis Praticien Hospitalier au CHU de Toulouse. J’ai suivi un cursus universitaire et rester dans ce milieu, m’a permis de créer un service d’art-thérapie qui intègre toutes les médiations originales. Ce service n’est pas seulement un atelier mais tout un ensemble. »

 

34-Granier-AguilarIl poursuit sa présentation par une évocation de ses motivations pour l’art-thérapie. Tout d’abord, il a eu un intérêt personnel précoce pour l’art et s’inscrit dans une culture classique. Il a été repéré à Toulouse par le Pr Gayral qui lui a donné la possibilité d’initialiser son projet d’art-thérapie. Le cadre universitaire a permis au Dr François Granier de travailler à son projet dans la durée tout en le soumettant à l’exigence d’évaluation. Le chemin de la psychanalyse personnelle de ses jeunes années lui a permis de développer une orientation du soin qui conjugue la pratique artistique avec l’exigence thérapeutique, et de combattre l’illusion que partager l’art est automatiquement thérapeutique. La voie de la compassion, alors généralement utilisée, ne marche pas. Il argumente enfin son choix d’exercer dans le champ de l’art-thérapie par ses aptitudes personnelles : « la psychiatrie se parcellise et on ne peut pas être bon partout. »

 

L’art-thérapie, poursuit le Dr François Granier, consiste en une stimulation individuelle et groupale. Cette approche thérapeutique est exigeante pour le thérapeute : faire découvrir des supports, travailler l’être en atelier, dépister chez un patient une propension insoupçonnée pour la chose artistique, travailler sur le rapport esthétique au monde davantage que sur le processus de création artistique, demande une conviction et des qualités. Or, constate le communicant, il devient difficile de trouver des jeunes psychiatres qui ont les aptitudes nécessaires, ne serait ce que parce que l’on en vient à se poser la question : « où est la culture générale des jeunes internes ? ».

 

Le Dr François Granier précise la position de l’art-thérapeute : « être derrière le tableau n’a rien à voir avec l’activisme. Ce n’est pas l’objet beau qui est visé par le soin, mais le processus de quête de la beauté. En art-thérapie, l’art est un moyen et non un but. L’alliance thérapeutique doit se gagner jour après jour. » Par contre, c’est un fait que l’art-thérapie peut changer l’image du soignant et du soigné. Le patient apprécie un changement de position, qui humanise. La capacité de changement au rôle donne un sentiment de sécurité.

 

35-GranierLe communicant aborde une dimension importante. L’art-thérapie est une thérapie à l’aide de la médiation. Il ne faut pas oublier que les processus pathologiques sont toujours là et ne demandent qu’à rechuter, et, dans ce contexte, l’importance du médium est qu’il permet un langage formel, lequel sera toujours perceptible même lorsque le langage verbal se banalise dans la prise en charge ou ne sera plus possible. Quel que soit l’état du patient, le style formel ne va pas changer, et « l’on peut ainsi voir nos effets et nos limites ».

 

Le travail de l’œuvre dans le contexte de l’art-thérapie, conclut le Dr François Granier, ce n’est ni produire, ni sublimer, c’est « réparer ». L’art-thérapie ne saurait dénier la maladie. Elle se situe en deçà d’aspects positifs en terme de statut social. « Ceux qui promeuvent une thérapie uniquement tournée vers la production ne comprennent pas l’art-thérapie installée dans le cœur de l’institution. Ils se voient mieux dans le patronage d’un autre temps et les projets artistiques clé en main. »

 

Cette communication engagée suscite une réaction de Mr Jean Louis Aguilar qui fait observer que les directions des institutions ont une demande d’animation de préférence au soin art-thérapique.

 

Le Dr François Granier reprend des remarques sur l’art brut. Ce qu’il ne veut pas, ce sont des expositions décontextualisées comme on en voit dans des galeries de New York où on se demande où est le malade. Mais cela change avec le développement de l’empowerment (= les patients qui s’organisent pour se prendre en charge eux mêmes). « Les patients ont leur mot à dire, veulent parler de leur œuvre. »

 

« Le processus de création mis en acte » : l’auteure, Mme Geneviève Dindart, est art-thérapeute à Béziers. Sa formation initiale est celle d’une artiste professionnelle. Rapidement, elle s’est intéressée au contexte de la psychiatrie, et, en 1996, est diplômée d’art-thérapie. Elle intervient alors dans un premier temps à l’hôpital Paul Guiraud (Villejuif) tout en effectuant une formation psychanalytique. De 2006 à 2013, elle intervient dans un atelier d’expression du CHRU de Montpellier, situé dans le Centre de Jour et Espace Culturel de l’Hôpital La Colombière. En 2013, cet atelier est fermé pour raison budgétaire. À partir de cette date, l’essentiel de l’activité professionnelle de Mme Geneviève Dindart est celle de formatrice en art-thérapie. Pour en savoir plus, lire son site (http://genevievedindart.com). Sa communication reprend son vécu et ses réflexions personnelles. Elle est essentiellement un témoignage porté depuis sa position d’artiste.

 

36-Dindart« Je vais essayer d’aborder le processus de création en essayant d’en dégager ses principaux rouages… », nous annonce t’elle, avant de citer les diverses définitions disponibles du mot processus : enchaînement ordonné, suite continue d’opérations, manière de se comporter en vue d’un résultat ; mais aussi les processus inconscients de Sigmund Freud (processus primaire et processus secondaire). Une direction se dégage des diverses déclinaisons du mot processus : leur point commun est « dans la mise en forme de l’informe ». Ce qui lui semble pertinent à propos du processus de création dans le domaine de l’art.

 

Elle cite alors Jacques Derrida pour son propos sur « la singularité de ce qui vient » et qui est un événement imprévisible. Ce processus est incalculable. L’œuvre peut être appréhendée sous l’angle de « l’observable », et Mme Geneviève Dindart convoque Pascal Quignard qui énonce : « Les hommes ne regardent que ce qu’ils ne peuvent pas voir.» (P. Quignard, Le sexe et l’effroi. Paris, Collection Folio 2839, Éditions Gallimard, 1996.) L’œuvre serait elle un dévoilement de sens ?

 

La communicante poursuit ses réflexions sur un mode littéraire : « Un processus de création est-il épuisant ou régénère t-il, par des forces multipliées et agissantes, des éclats d’instants inoubliables, que le créateur lui-même ne pourra situer, car insituables ? Y a t’il un Mystère majuscule dans la Création ? Le processus de création est-il ce qu’il ne reste pas dans la création, un déchet, ou encore un objet totalement perdu ? Une œuvre en train de se faire est-elle le processus même ou seulement quelques variations mouvantes, incertaines, ne définissant rien, faisant juste contours, ou encore, faisant piliers ou structures de soutènement de l’œuvre elle-même ? » Elle ajoute : « L’universel de la création (et de toutes ses formes) est-il dédié au processus, tel un serviteur du vide d’où la forme arriverait ? Cette sécrétion psychique, continue, discontinue, vient-elle rendre compte de la pulsion de vie mais aussi de mort ? »

 

37-La-verite-sortant-d'un-puitsElle poursuit sur un mode métaphorique, pour évoquer la place de l’histoire personnelle de l’artiste dans le processus de création, qui fonctionne comme une réserve : « Ses immenses réserves, ces fonds émotionnels, sont-elles souterraines telles des bassins sous terre ou sous banquise, où la surface est parfois tellement gelée, qu’il y faut attendre son dégel, par la force des choses ? … Ressemblent-elles à des nappes phréatiques, nécessitant de longues périodes de pluie pour que des histoires de niveaux d’eaux s’y rétablissent ? Un processus de création agit-il comme réserve incorporée, dans laquelle l’artiste serait appelé à puiser ? »

 

La communicante ajoute le rapport de l’artiste à l’image, mis en œuvre dans le processus de création : « Fonctionne-t-il tel un diaphragme de reflex, dans une instantanéité d’ouverture, à la fois pour capter, au moment où il faut, la dose exacte de lumière, pour qu’un résultat d’image soit satisfaisant ? Ce processus, allant parfois vers une telle surdéfinition de l’image, travaille-t-il autant l’artiste, qu’un jour ou l’autre, il ne pourrait plus même la regarder ? »

 

Elle se demande alors si le processus serait l’envers d’une création, ou le gant de la création ajusté sur mesure : « Nous le savons tous, le sur-mesure coûte toujours plus cher … Certains artistes en connaissent le prix à payer pour l’engagement d’une vie entière à porter, supporter, leur recherche, accompagnée de tous ses processus épuisants… » Elle évoque la transparence et l’opacité de l’œuvre, les effets de miroirs « où le sujet tour à tour disparaît, dans les deux dimensions de l’expansion infinie et du foyer central du … cristal » , ajoutant : « les caractéristiques du cristal sont d’ailleurs immédiatement associées à la création parce qu’on parle bien de phénomène de cristallisation ! »

 

38-epiphanie-de-Mantegna-1500Elle évoque l’écran blanc du processus de création, cible de la forme arrivante : « L’écran sur lequel les images, les mots, les notes de musique, les films, se cognent parfois, est-il un réceptacle ou une zone d’atterrissage tout en douceur ? Cet écran blanc ou fait de vide, ou de ce rien, ou de ce manque, n’est-il pas la zone de cible absolument redoutée dont parlent certains artistes ? De la peur de la page blanche, jusqu’aux contours limites sans cesse repoussés ou mis en attente d’un projet, qu’est-ce que cet écran vient border ? La rigueur a-t-elle à voir avec le processus de création ? Où, à chaque rendez-vous que l’artiste se donne pour ses mises au travail de ses formes imaginées, celui-ci devrait dans son absolue rigueur permettre de faire advenir l’évènement ? Comme une épiphanie … celle de la forme, arrivant ? »

 

Mme Geneviève Dindart évoque une surprise entre le désir et ce qui se réalise. Et se demande : « Que garde un artiste à la fin de sa vie ? Se remémore-t-il toutes ses forces de germination ? Les processus ont-ils été légendés telle une carte graphique où plusieurs espaces, zones, y seraient colorées ? Le rouge pour une zone d’une immense intensité, le jaune pour une zone complexe, le vert pour une zone morbide, le bleu pour une zone ultra-fluide … le noir pour une zone réflexive, où rien ne s’est vraiment passé sinon une mentalisation excédentaire, amenant avec elle son cortège de flou, de passivité, voire de dépression… Quel artiste n’a pas parlé, dans un après-coup, de dépression lorsqu’une période de création a été trop intense ? A l’inverse, quel artiste n’a pas parlé de consommation frénétique de drogues, de sexe durant ses intenses saisons de création ? »

 

La communicante suggère que les processus de création qui convoquent l’artiste pourraient être dangereux. S’il y a une entrée, normalement, il y a donc une sortie, mais hélas cela ne se vérifie pas. Cela lui rappelle une histoire qu’elle raconte souvent lors des formations qu’elle anime : « Un homme prépare un trou sur la surface de la banquise pour y faire une plongée en apnée, une fois le trou assez grand, il se glisse à l’intérieur et plonge, observant l’univers du fond merveilleux. Conquis par ces tonalités de bleus, ces transparences de blanc et la lumière nappe qui transparait au-dessus, il s’enivre de tous ces reflets… Au bout d’un très long moment de délices visuels, il veut remonter à la surface mais il ne retrouve plus le trou qu’il a lui-même fait. Se perdant dans les reflets de bleus et pris par tant de beauté, il ne retrouve plus jamais la sortie. » Se mêlent ratages et éblouissements.

 

39-infini-de-la-peintureAlors, s’interroge Mme Geneviève Dindart, l’œuvre ferait elle déchet de tout un processus créateur ? Elle voit une perte sans retour de ce qui provient d’un monologue intérieur de l’artiste lors du processus créateur. Elle ajoute cependant : « le processus lui-même en serait-il le résidu, la scorie, la chute ? ». L’artiste s’en rend compte : « ce sentiment de perte de données, voire de souffrance de perte sans retour, raconte bien que tout ne peut pas s’inscrire, et dans l’immédiat … Beaucoup d’écrivains en parlent, les artistes aussi. » La communicante se réfère alors à une expérience professionnelle : « Un jeune patient d’un hôpital de jour où j’ai exercé plusieurs années nous disait ou plutôt, répétait : « C’est fini l’infini ? … » Il avait totalement raison ! Nous en sommes tous là de toutes les façons.
Nous essayons de cerner quelque chose qui est impossible à cerner. Et pourtant…
 »

 

Elle conclut : « Le processus de création est une question toujours posée, énigmatique, servant la création, l’achevant presque dans ses contours opaques et infinis. (…) Le processus de création est un Mystère insondable et c’est tant mieux. Il vient rajouter à l’énigme Majuscule, d’un temps qui ne s’étire pas mais qui vient, à l’oblique ou de biais, surprendre nos formes, les habiter, les interrompre parfois, les achever ou les enlever de leur statique. Le processus de création est l’énigme même de son point de disparition, comme la note de musique, pile, en do majeur pensé d’abord en mineur, qui se révèle finalement en do dièse… »

 

Le Dr jean Paul Bossuat revient sur la formulation du serviteur vide d’où la forme arriverait : ne conviendrait il pas également de parler du serviteur muet ? Celui sur lequel le créateur dépose ses atours avec le souci premier d’en préserver la forme pour un usage futur. Cela permettrait de poser la question du rapport entre les apports du créateur qui engage sa vie, habillent le processus, et le saut qualitatif de l’œuvre qui a un rapport avec ce qui a été déposé mais est devenue bien autre chose.

 

Après une pause, les deux communications suivantes concernent des auteurs venus au titre de Psy Cause : Mme Nathalie Méchin, déjà participante au colloque Rochegude II, et le Dr Thierry Lavergne.

 

« Expression plastique et création artistique » : l’auteure, Mme Nathalie Méchin, est psychologue clinicienne, docteur en psychologie clinique. Elle a longtemps travaillé à l’hôpital psychiatrique de Saint Egrève (près de Grenoble) et a été chargée d’enseignement et de recherche à l’Université Lyon 2. Elle 40-Mechinenseigne encore à l’Ecole des Psychologues Praticiens à Lyon. Elle vient de se déclarer volontaire pour être missionnée dans le cadre de Psy Cause.

 

Elle introduit sa communication par ces mots : « en lisant la thématique du colloque 2016, j’ai eu envie de partager mes réflexions concernant deux expériences vécues. D’une part, mon expérience en hôpital psychiatrique où, en tant que psychologue clinicienne, j’ai créé et animé plusieurs ateliers de peinture et d’expression plastique. Et, d’autre part, ma visite à l’automne de l’exposition G. Garouste « En chemin » à la Fondation Maeght à Saint Paul de Vence. »

 

Première partie de l’exposé : un atelier de peinture à l’hôpital psychiatrique.

 

41-Patrick-1« Durant des années, nous dit-elle, à chaque changement de service, en intra comme en extrahospitalier, j’ai créé des ateliers d’expression plastique (mandala, collage, peinture), toujours dans le souci et le désir d’offrir un espace de créativité dans une institution rigide pour des patients en difficulté de communication. Je choisis de vous parler d’un atelier peinture.

 

Son fonctionnement et ses choix d’orientation :

– le dispositif est une salle récupérée dans un bâtiment d’ergothérapie, adaptée avec chevalets, papiers, peintures, pinceaux, etc…

– Il concerne des patients de pathologie lourde (schizophrènes ou bipolaires), en ambulatoire, stabilisés, suivis en CMP. Ces derniers sont inscrits dans l’atelier, en accord avec le psychiatre, dans un objectif thérapeutique en groupe. Le choix de l’atelier proposé aux patients est lié à la difficulté de parler, et, pour une patiente, à sa pratique de la peinture.

– Les règles de fonctionnement sont une présence d’une heure et demie une fois par semaine, de s’engager à une 42-Patrick-2présence régulière pour un cycle de séances défini, de peindre en silence « ce qui vient ce jour là » puis d’échanger sur sa peinture avec les autres ou/et de questionner es autres pour les aider à la réflexion.

– Mon rôle est d’animer l’atelier dans une position de thérapeute dans les sens d’aide à l’élaboration, et de mise en lien avec la maladie dans la mesure où je connais les patients par ailleurs (soit en suivi individuel, soit dans le groupe de parole d’appartement thérapeutique).

– Quant à la destinée des peintures, soit les patients choisissent de les enmener, soit de les laisser dans l’atelier dans le respect de la confidentialité (ils ne les enmènent que très rarement). Une fois par an, le psychiatre est invité et les patients choisissent de montrer une peinture pour échanger avec lui. Ils m’ont autorisée à utiliser leurs peintures pour la recherche. Le résultat de ce choix éthique est que lors de mon départ à la retraite, j’ai passé du temps à détruire une montagne de peintures et à jeter à la déchetterie… aussi difficile que de jeter les dessins de ses enfants !

 

43-Brigitte-1Analyse des processus en jeu :

– le geste de la main et le choix des couleurs et des formes permettent d’exprimer des données préconscientes, inconscientes, quand les mots et la parole ne le permettent pas. Comme l’écrit J. Boustra (expression et psychose, 1987, ESF, page 106) : « c’est essentiellement au niveau de la disposition formelle : arrangement de formes, répétition formelle, prévalence des traits ou de la couleur, qu’il convient de sensibiliser le regard dans la recherche d’un possible à dire » ;

– la feuille de papier est un lieu d’une « expression hors de soi », de projections d’émotions, de souvenirs, d’idées délirantes ; c’est un processus associé au plaisir de dépôt, de décharge. Selon J. Boustra (ibid. page 106), « les productions d’atelier sont potentielles d’un sens possible, référé au désir du sujet, s’il est possible qu’elles ne soient pas seulement interrogées dans le niveau langagier où elles se manifestent dans une mise à l’écart signifiante qui permet au sujet de retrouver l’amplitude d’une partition langagière plus large » ;

– l’atelier fait fonction d’espace transitionnel au sens de 44-Brigitte-2Winnicott (…). C’est un lieu de liberté, de jeu et de créativité dans un espace sécurisant ;

– la psychologue a une fonction maternelle par sa présence ; elle laisse jouer seule en silence (…) et, par sa plasticité psychique, offre une enveloppe contenante ;

– et une fonction paternelle en faisant respecter les règles de fonctionnement ;

– dans la phase de parole, moment à proprement parler thérapeutique, la psychologue prête son « appareil à penser » en aidant à la parole, à la liaison symbolique des impressions sensorielles et des ressentis émotionnels très primitifs, à l’élaboration des impressions sensorielles mises en images, assimilées par la psyché, organisées et réutilisables (comme l’a théorisé Bion in Réflexion faite, PUF, 1983, page 131) ;

– un processus de représentation par des signifiants, couleurs, traits, forme qui se détachent sur la feuille se joue quand un objet interne, représenté dans l’esprit, prend forme sur le papier, et devient visible ou identifiable ;

– il y a bien sûr une fonction de valorisation narcissique, plus précisément de sentiment d’exister, d’être soi, par le 45-Gaston-1regard des autres sur une production ;

– enfin, il me semble qu’il y a la dimension de donner à voir aux autres, de cadeau, d’offrir à l’autre (…) d’adresse à l’autre dans une position de « je » sujet. » Pour le psychotique, nous fait observer la communicante, cela permet de poser son identité dans l’altérité et de détricoter l’amas qui colle : le sujet qui s’exprime, l’objet qui est produit, le média utilisé et le destinataire.46-Gaston-2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Seconde partie de l’exposé : visite des œuvres de G. Garouste, à l’automne à la Fondation Maeght. Mme Nathalie Méchin nous confie que cette expérience l’a fait réfléchir à la notion de création d’une œuvre.

 

Sa référence première pour comprendre cette notion, est le travail de Didier Anzieu, dans « Le corps de l’œuvre » (Galimard, 1981), qui définit les étapes de la création d’une œuvre : le saisissement créateur – la prise de conscience de représentations inconscientes – instituer un code et lui faire prendre corps – produire l’œuvre au dehors. Pour Anzieu, le travail psychique du créateur consiste en une représentation d’un conflit sur une autre scène, ce qui implique déplacement, condensation des choses et des mots, figuration symbolique, et renversement en son contraire : « créer, c’est se laisser travailler dans sa pensée consciente, préconsciente, inconsciente, et aussi dans son corps, ou du moins dans son Moi corporel, ainsi qu’à leur jonction, à leur dissociation, à leur réunification toujours problématiques » (page 44). Didier Anzieu écrit en évoquant Mélanie Klein (page 53) : « créer, c’est réparer l’objet aimé, détruit et perdu, le restaurer comme objet symbolique, symbolisant et symbolisé, assuré d’une certaine permanence à côté de soi. »

 

47-G-GarousteMme Nathalie Méchin en vient à Garouste. Ce dernier explique comment sa main quelque part l’a sauvé (Garouste G., L’intranquille, L’iconoclaste, 2009) : « la peinture commence où les mots s’arrêtent, et encore ma pensée était séparée de ma main. (…) Le délire avait fait de moi une bombe humaine. Le délire, c’est une fuite, une peur très grande d’être au monde, alors on préfère se croire mort, ou tout puissant, ou juste un enfant » (page 86).

 

Garouste explique la liberté qu’il prend dans le cadre contraignant de la forme fermée de la toile. On peut supposer, nous dit Mme Nathalie Méchin, que la technique et sa connaissance approfondie de la peinture (son investissement dans les anciennes techniques vénitiennes de peinture, sa recherche personnelle pour fabriquer des couleurs, puis plus tard sa recherche biblique) lui font tiers. La symbolisation est fortement présente, chez Garouste, dans l’utilisation de codes culturellement construits (se référant aux mythes).

 

L’œuvre sort de l’atelier vers l’extérieur, ce qui conduit Garouste à parler ainsi de l’un de ses tableaux : « Voilà le tableau. Il est fait de mes pauvres secrets de famille, mais tout le monde en a. Je ne suis pas historien, pas philosophe, je mets en scène des histoires, la peinture les fait ensuite voyager, elle les dépose sur d’autres rétines que les miennes, éveille d’autres mémoires, d’autres mots, d’autres questions. Sa destinée est d’être regardée, de résonner, de s’émanciper, de s’éloigner du sujet dont elle est issue » (page 34). Mme Nathalie Méchin nous dit qu’elle met volontairement de côté la dimension sociale de la valeur artistique ou financière de l’œuvre ainsi que le rôle important des proches de l’artiste, en particulier de la famille qui a su porter le talent.

 

Elle conclut son exposé sur un constat : dans les deux cas de figure (atelier avec les patients et peintre malade mental), il s’agit, comme l’écrit Didier Anzieu (ibid, page 83), de « donner des représentations à cet irreprésentable » et que « tel est, nouveau paradoxe, la visée créatrice. » Elle ajoute que Garouste disait que l’« on ne peut peindre que si l’on va bien », que « le délire ne déclenche pas la peinture » et que « l’inverse n’est pas vrai » ; et se demandait : « pourquoi un artiste n’aurait il pas droit aussi à l’équilibre ? » (pages 96-97). Ce qui rejoint les observations de Didier Anzieu (ouvrage déjà cité, page 95) : « la limite reste incertaine et fragile ; le travail créateur peut permettre à l’auteur de faire l’économie d’une pathologie mentale, organique ou comportementale plus sévère ; il peut n’être qu’un palier provisoire retardant l’établissement définitif de la pathologie. »

 

Le Dr Thierry Lavergne félicite la communicante : « parler de choses compliquées de manière simple, c’est difficile, bravo. »

 

« Une histoire d’amour déçu mue par le désir (Amour, désir et création au sein du processus thérapeutique) » : l’auteur est le Dr Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux au Centre Hospitalier de Pierrefeu du Var et pédopsychiatre vacataire à Aix en Provence, cofondateur en juin 1995 avec le Dr Jean Paul Bossuat de l’association/revue Psy Cause. Il lui revient de clôturer avec sa communication, cette troisième Journée Psy Cause à Rochegude.

 

48-Lavergne« Chaque rencontre est unique… surtout quand on est psy !… même si le thérapeute a toujours un peu la même mission : permettre à l’autre d’oser quitter son symptôme et d’aller vers un ailleurs plus libre, plus ouvert, moins contraint… l’aider passer d’un état à l’autre, non pas tant à la recherche d’une homéostasie, mais bien vers un changement de niveau, vers un niveau supérieur…

 

On est parfois le témoin privilégié de la construction délirante d’un de nos patients… force est de constater combien il est rivé à son thème délirant et combien il a perdu la capacité à s’en autonomiser, tant il est enfermé dans les certitudes de sa construction délirante… Il a créé un symptôme qui répond à toutes les questions par des certitudes rassurantes et sans issue autre que la répétition infinie… On retrouve ce fonctionnement dans certaines créations stéréotypées et quasi-standardisées avec un public séduit par les certitudes qui s’en dégagent avec le sentiment d’accéder à un ailleurs rassurant pour pas cher… le groupe fonctionne un peu comme un psychotique…

Parfois, au décours d’un moment dépressif, le délirant nous autorise à l’aider à quitter son symptôme malgré sa crainte d’aller vers l’inconnu… Ce qui fonctionne alors pour son soin, c’est la confiance qu’il met en nous pour l’accompagner dans ce passage…

 

Attention toutefois à ne pas croire qu’il s’agit de personnes à part aux destins étrangers au monde commun : être enfermé dans son ou ses symptômes concerne tout un chacun… et redouter et à la fois désirer s’affranchir de ses symptômes est une préoccupation commune à tout un chacun…

 

L’artiste trouve parfois une aide à s’en affranchir, on le voit par exemple chez l’acteur pour qui le plateau ou la scène sont le lieu et le moment où il peut donner libre cours à ses fantaisies et s’éloigner de ses symptômes habituels, et s’y sentir étonnamment « libre ».

Le névrosé aussi nous demande de faire un petit pont pour lui, de frayer le passage, de l’aider à passer à autre chose malgré son attachement à son symptômes… il nous reste à choisir jusqu’où nous pouvons faire confiance à sa capacité à trouver lui-même le passage, sans l’inscrire dans un protocole de voyage organisé standardisé. En cela, le thérapeute est confronté à supporter le passage, à supporter le pas-sage…

 

Cette dynamique est à l’œuvre dans tout processus thérapeutique et se rejoue tout au long du processus thérapeutique qui peut prendre parfois plusieurs années pendant lesquelles peuvent se rejouer les étapes de la vie libidinale…

 

Tout commence avec un cri !…

 

Du besoin au désir

 

49-Joovs-van-Cleve-1525Le premier signe de vie du nouveau-né est un cri, et la mère interprète ce cri comme une demande de nourriture qu’elle satisfait… et c’est ainsi que commence l’histoire!…

Le nourrisson éprouve pour la première fois ce bien-être du passage du lait chaud. Plus tard, la faim l’amène à crier encore. C’est donc le besoin qui l’anime, mais cette deuxième fois n’est plus comme la première car il attend quelque chose dont il a la trace. Il hallucine ce bien-être à l’avance et s’en satisfait un temps, jusqu’à ce qu’il réalise que l’hallucination est différente de la réalité…

C’est donc en ressentant le manque qu’il commence à mieux percevoir le délai entre le ressenti du besoin et sa satisfaction… Cette latence de la satisfaction permet d’éprouver le désir de ce qui lui manque et de l’exprimer…

Les objets du désir sont, par exemple, de voir le sein de la mère, de sentir l’odeur de sa peau, de ressentir les battements sourds et rythmés de son cœur, d’entendre la mélodie de sa voix quand elle parle, de s’emplir la bouche avec le mamelon, de déglutir le lait tiède qu’il produit et remplir son estomac, de tendre vers le sentiment de satiété, l’apaisement, voire le sommeil après avoir roté du trop-plein d’air ingurgité…

L’objet du désir est donc multiple… il y a une grande diversité des objets du désir, même si cette période de la vie se caractérise surtout par le désir du sein et la satisfaction de téter…

 

L’objet transitionnel

 

50-pelucheLorsque l’enfant est en manque du sein, il va projeter une image, projeter un ressenti sur les objets qui l’entourent. Il fait l’essai de trouver un apaisement du ressenti du manque auprès d’un des objets qui l’entourent. L’objet choisi et la projection dont il est support devient ainsi un objet qui ets à al fois interne et externe…

Winnicott définit l’objet transitionnel comme tout ce que l’enfant crée, s’invente pendant cette période de transition entre le principe de plaisir (la satisfaction avec le lait à téter) et l’acceptation de la réalité (la frustration).

L’objet transitionnel sert donc d’intermédiaire. Il aide l’enfant à accepter la frustration de l’absence de réponse immédiate à sa demande de nourriture. Cet objet créé par l’enfant n’est ni une hallucination ni un objet réel. Il s’agit d’un objet qui est non-moi, mais non-étranger, qui est à la limite du dehors et du dedans. Ce sera le nounours avec lequel il dort, ou bien un morceau de tissu aux odeurs qu’il apprécie, ou bien un jouet qu’il aime porter à la bouche etc…

 

Création

 

Il faut donc à l’enfant un environnement qui laisse place au manque tout en étant suffisamment rassurant. Ce sera un des objets de cet environnement suffisamment bon à qui il donnera une fonction d’objet transitionnel.

C’est la façon dont l’enfant a recours à l’objet qui fait de cet objet un objet transitionnel et pas la qualité de l’objet en lui-même.

 

51-L'urinoir-Marcel-DuchampDe même, ce n’est pas l’œuvre en elle-même, mais bien la façon de s’en servir dans un environnement choisi qui aura un effet sur le sujet… on se souvient par-exemple de l’effet de l’urinoir que Marcel Duchamp présente en 1917 à la Society of Independant Artists sous le pseudonyme de Richard Mutt et dont la copie est actuellement présentée au musée Pompidou…

 

Avec le concept de la mère suffisamment bonne, Winnicott veut montrer l’importance d’une distance de la mère en adéquation avec les capacités de l’enfant, ni trop peu là, ni trop là : c’est l’écart temporel et spatial dans la relation entre le sujet et l’objet qui est fondateur de la créativité…

 

Cette élaboration commence très tôt, alors que l’enfant est encore dans la phase schizoïde que décrit Mélanie Klein, avec cette profusion d’objets internes, externes, attaquants ou rassurants… L’objet transitionnel est en marge, il n’est ni un objet interne, ni un objet externe ; c’est un objet auquel l’enfant donne une fonction d’objet transitionnel, c’est un objet dont il crée l’effet qu’il aura, c’est un objet qui fait lien… lien dans le temps, avant et après la tétée, et dans l’espace, avant et après la rencontre avec le sein…

 

De même, l’œuvre est à la fois interne et externe, à la fois, elle est un prolongement de son créateur et, à la fois, elle s’adresse aux autres… elle fait lien, lien dans le temps et dans l’espace…

L’œuvre se définit du nom de l’artiste : c’est un « Picasso »… Mais aussi l’œuvre appartient à l’artiste : l’œuvre de Picasso appartient à ses héritiers… L’œuvre est un objet interne et un objet externe : l’artiste est son œuvre et il a une œuvre…

 

Relation d’amour

 

À force de répéter l’expérience du sein, de son désir et de sa satisfaction, l’enfant mémorise assez d’éléments pour intégrer que c’est la même personne qui porte l’environnement apaisant et l’environnement excitant, et quand il prend conscience, il entre en position dépressive…

Mélanie KLEIN décrit cette position dépressive après la phase schizo-paranoïde pendant laquelle l’enfant vit dans un monde d’objets partiels, dont certains sont bons et gratifiants et d’autres mauvais et frustrants.

Les bons objets sont introjectés et les mauvais objets sont projetés à l’extérieur, de façon quasi paranoïaque…

L’objet transitionnel est entre les deux, ni dedans, ni dehors, ni persécuteur, ni gratifiant… il aide à apaiser les craintes liées aux mauvais objets et à se remémorer les bons objets…

L’objet transitionnel continue à exister pendant la phase dépressive et plus tard aussi, aux côtés des objets d’amour…

C’est pendant cette phase dépressive que se fonde l’histoire d’amour entre mère et petit enfant… une histoire d’amour et de dépendance entre désir et complétude…

 

Une histoire d’amour barré

 

Il y a un tiers qui va venir mettre un terme à cette relation exclusive…

Freud décrit les étapes vers l’Œdipe et, notamment, comment le tiers soustrait l’enfant à la toute-puissance du désir de la mère pour lui permettre d’élaborer son propre désir et d’accéder aux mécanismes de sublimation en lien avec l’environnement social…

C’est à cette étape de la sublimation que se structurent les outils de création, que ce soit dans le domaine du lire et écrire, ou dans le domaine du voir ou de l’écoute… etc.

 

Art et sublimation

 

52-Lecture-de-conteLes mécanismes de sublimation transforment un ressenti affectif en une compétence sociale. Par exemple, un enfant qui aime écouter la lecture de contes écrits deviendra un meilleur lecteur que l’enfant qui est peu sensible aux lectures de contes. Par contre, un enfant qui aime écouter la lecture de contes ne deviendra pas nécessairement un enfant qui aime lire. De même, le talent de bien écrire ne pourra pas venir sans sublimation, mais cela ne suffit pas, il faut qu’il reste une part d’enfance, une part d’amour enfantin, avec ses objets transitionnels dont le partage va permettre aux autres de retrouver ces ressentis anciens qui leur donnent une intuition de l’avenir. On pourrait alors qualifier cette démarche créatrice d’artistique…

 

 

 

 

 

 

Création en thérapie

 

En thérapie, que se passe t’il ?

La demande, plus ou moins clairement formulée est une demande d’accéder au bonheur, à la liberté, au mieux être… etc.

La réponse du thérapeute à cette demande est de laisser libre cours à la parole…

Donc sa réponse est de ne pas répondre immédiatement, et de laisser advenir la frustration, puis le désir, puis le sujet qui parle, en s’appuyant sur le cadre de la psychothérapie, dans un espace et un temps partagé entre thérapeute et sujet en thérapie, espace-temps qu’on peut assimiler à la création d’un espace transitionnel selon Winnicott. »

 

Après cette intervention, des art-thérapeutes ont longuement échangé avec le Dr Thierry Lavergne, en particulier Mme Geneviève Dindart est revenue sur les concepts de sublimation, l’articulation connaissance et compétence, l’articulation objet transitionnel et projection chez l’artiste.

 

Conclusions.

 

57-conclusionsLes conclusions sont prononcées successivement par Mr Jean Louis Aguilar, président de l’ARAT, et par le Dr Jean Louis Griguer, président du colloque pour Psy Cause. Mr Jean Louis Aguilar rappelle le contexte de sa venue. Le Dr Jean Louis Griguer revient sur l’articulation complexe entre art et thérapie. Il pointe une vérité : l’art nous fait exister.

 

 

 

 

 

 

 

Jean Paul Bossuat et Jean Louis Griguer

 

 

Écrire les chiffres et les lettres apparus ci-dessous, dans le rectangle en dessous