Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Séminaire N° 9 de Psy Cause Cameroun : Le cas du projet Scandinave Water au Cameroun

Le titre complet de ce séminaire est : « PROJETS DE DEVELOPPEMENT EN AFRIQUE : LES RAISONS DE L’ECHEC ET LE ROLE DE L’ÉTAT. Le cas du projet Scandinave Water au Cameroun ».

 

Ce séminaire du mois d’avril 2014 a été suscité et organisé par le laboratoire Psy Cause Cameroun pour répondre aux préoccupations de nombreux lecteurs qui consultent le site de Psy Cause et qui nous reprochent de nous spécialiser seulement en santé. Au cours de ce séminaire, le Dr Ndonko Peguy a prit la parole pour dire que son Laboratoire est pluridisciplinaire et pluriprofessionnel depuis les origines et qu’il est capable d’intervenir aussi bien dans les aspects de la santé que du développement et même de l’environnement. L’Anthropologie est une clé qui ouvre toutes portes des sciences.

 

Avant d’aborder la question du projet Scandinave Water, le Dr Ndonko Peguy s’est inspiré d’un travail bien connu dans les milieux des sciences sociales sur cette problématique. Il s’agit du travail de recherche de Célestin Ngoura. La lecture du texte de cet auteur donne à comprendre que l’absence de l’expertise des sciences sociales dans tout processus de développement est souvent la cause de l’échec de nombreux projets de développement en Afrique. A partir de l’exemple du projet « Latrine pour chaque famille » initié par les bailleurs de fonds et le Ministère de la santé publique à l’extrême-Nord Cameroun sur l’hygiène et la salubrité publique, il montre que les valeurs socioculturelles et les traditions séculaires des populations de cette région expliquent les causes de cet échec. En effet, l’idée sous-jacente à cette initiative aux moyens logistiques et financiers énormes était d’amener tous les membres de chacune des familles de la région à ne plus aller se soulager n’importe où dans la nature. Cette pratique engendrerait les maladies endémiques d’origine hydrique (typhoïde, choléra, diarrhée…). Aussi, les initiateurs du projet avaient-ils décidé de doter chaque famille de latrines ! Au terme de leur étude de faisabilité, ils lancèrent les travaux sous le regard interrogateur des soi-disant bénéficiaires. Au bout d’une année et demie, ils revinrent sur les lieux en vue d’évaluer le degré de réussite de leur entreprise. Mais ils furent surpris de constater que les intéressés n’avaient pas jusque-là utilisé les fosses d’aisances gracieusement mises à leur disposition. En réalité, dans ce contexte culturel, les règles de politesse et de bienséance élémentaires et les comportements sociaux anodins sont encore en vigueur. Les femmes ne doivent jamais savoir où et quand l’homme va se soulager. En outre, les brus ou les gendres n’ont pas à savoir où et quand leurs beaux-parents vont se soulager. De même, les hommes de leur côté, n’ont pas non plus à connaître le lieu et le moment où les femmes vont faire leurs besoins. Les enfants eux aussi ne doivent pas non plus savoir où et quand les parents et les adultes vont aux toilettes. Ils défèquent à tour de rôle dans les eaux courantes et les champs. En conséquences, ce projet « latrines communes » était condamné à échouer, car il est illusoire de penser que les populations allaient sciemment transgresser leurs pratiques sociales ancestrales.

 

01-Scan-water-BamenaL’échec de ce projet de développement dû aux comportements culturels anodins des populations nous a fait penser à un projet analogue, celui du Scandinave Water qui devait fournir de l’eau de qualité améliorée et en quantité aux habitants du village Bamena, situé à l’ouest Cameroun. Il convient de noter que ce projet avait été implanté dans plusieurs régions du Cameroun (Centre, Ouest, Nord-Ouest…). Les expressions jadis utilisées pour désigner l’état d’un environnement sain où l’eau ne présentait pas une qualité douteuse (l’eau ne tue pas, on ne refuse pas l’eau) continuent à prévaloir sur les consciences collectives, même à l’heure actuelle où les substances chimiques et toxiques polluent et dégradent la qualité de l’eau. Dès lors, nous nous sommes mis à réfléchir sur les raisons de l’échec du projet Scan Water dans cette région et sur la part des responsabilités des populations quant à l’échec de son fonctionnement. S’agissait-il d’un projet de développement des populations ou pour les populations ? Les pratiques culturelles des populations ne sont-elles pas des obstacles au développement et par extension à la diffusion du développement durable ?

 

Le Cameroun dispose de plusieurs sources d’approvisionnement en eau tant en milieu rural qu’en milieu urbain. Ainsi, on peut citer les rivières, les marigots, les fleuves, les puits, les forages, les bâches de retenue, les mares, les ruisseaux etc. La qualité de l’eau provenant de ces sources et utilisée par les populations est souvent douteuse et les expose à des risques sanitaires considérables. Dans le souci de soustraire ces populations à la corvée de l’eau, plusieurs partenaires ont proposé à l’État camerounais, dans le cadre de l’aide à la coopération, de contribuer à rapprocher les points d’eau au plus près d’elles. Cet apport devait permettre la diminution des risques microbiologiques liés au développement des agents pathogènes qui utilisent l’eau comme milieu de vie, et aider du même coup à lutter contre les maladies endémiques d’origine hydrique qui sévissent en milieu rural comme la bilharziose, l’onchocercose ou la cécité des rivières.

 

02-carte-bamena-2Le village Bamena, comme beaucoup d’autres régions du pays, a bénéficié de l’implantation des stations Scandinave Water. Selon les informations recueillies au cours d’un entretien avec Alain Tientcheu, 33 ans, enseignant et environnementaliste, « le projet Scandinave Water était une initiative de la coopération canadienne. Il s’était fixé pour objectif de fournir une eau de qualité et en quantité aux populations des zones rurales souffrant d’un manque d’eau afin de mieux lutter contres les maladies biologiques liées à l’eau telle la bilharziose, le ver de Guinée. La coopération avait aussi la prétention d’aider le gouvernement camerounais à monter les adductions d’eau dans toutes les zones rurales. Mais l’échec de ce projet vient du fait qu’il n’était pas participatif. Les partenaires impliqués n’ont pas tous été consultés avant la réalisation. »

 

Le but ultime du projet Scandinave Water était essentiellement lié à la distribution de l’eau potable. Le système de fonctionnement d’implantation du Scandinave Water consiste à créer près d’un cours d’eau, un bac de retenue d’eau et y plonger un moteur qui assure le captage de la ressource. Cette eau est ensuite conduite dans les réservoirs installés dans la cage métallique que représente la photo de la planche ci-03-Aspect-d’un-reservoir-de-la-scan-watercontre (source : Peguy Ndonko, 2007). Les réservoirs ont chacun un rôle. Les uns servent à la décantation et à la filtration ; les autres au traitement et la distribution de l’eau. Le premier réseau Scandinave Water a été implanté à Bamena en 1983, dans le cadre du programme AEP (Adduction d’eau potable) financé par le BIP (Budget d’investissement public). En 1986, une autre série d’installations est effective dans le cadre du même programme. Ce réseau sera complété par l’hydraulique villageoise financée par le même budget. Dès cet instant, cette localité est presque suffisamment alimentée en eau. Le fonctionnement du Scandinave Water nécessite aussi de l’énergie électrique, gérée au Cameroun par la Sonel (Société nationale d’électricité du Cameroun). La Sonel a été privatisée aux concessionnaires Américains en 2004 et est devenue AES-Sonel (American Electricity Society de la société nationale d’électricité du Cameroun). Dès cet instant, le prix du kilowatt a subi 3 hausses en quatre ans.

 

Tout d’abord, comme tout dispositif technique, la question du financement et de la maintenance est cruciale pour la fonctionnalité de la station de pompage. Or, dans ce domaine, le transfert technique s’est opéré sans tenir compte des fluctuations locales. Le SNECà qui l’Etat avait confié le paiement des quittances de l’énergie électrique consommée dans le fonctionnement des stations de pompage du Scandinave Water na parvenait plus à supporter les coûts de consommation. La Sonel qui fournit de l’énergie électrique pour le fonctionnement du Scandinave Water sera ensuite privatisée en 2004 à une société américaine (AES-Sonel). Suite à cette privatisation, le prix du kilowatt d’énergie électrique a subi trois hausses en quatre ans. Avec ces hausses des prix, l’énergie électrique fournie par la Sonel et les compteurs installés dans les stations de distribution d’eau du Scandinave Water sont interrompus. L’État ne pouvait pas non plus compter sur la participation des populations dont les revenus sont déjà très insuffisants et qui considèrent l’eau comme une providence. Dans ces conditions de déshérence, certains agents de la Sonel et les populations vont faire montre d’actes d’incivisme en démontant les compteurs pour les vendre. Les plaques en bois sont ainsi laissées « aux bons soins des termites ». Les populations ne pouvaient que retourner dans leur ancienne source d’approvisionnement en eau (marécages, rivières, sources, mares, étangs et puits) sans traitement.

 

Il convient peut-être à ce niveau de prendre en considération le point de vue de Jacques Perrin (1983) qui montre que cette politique de transfert de technologie n’a pas pour ambition de promouvoir le développement du pays d’accueil, mais de réaliser des profits, d’assurer l’accès aux matières premières, de pénétrer de nouveaux marchés. Le projet Scandinave Water relève de ce que cet auteur appelle « la vente directe de l’usine clés en main » qui permet aux firmes de transferts de vendre des équipements et des services technologiques en développant de nouvelles formes de sous-traitance. L’État camerounais aurait signé le contrat clés en main pour l’implantation du projet Scandinave Water. Dans ce type de contrat, le maître d’ouvrage confie la responsabilité des études et de la construction d’un ensemble industriel à une seule entreprise d’un pays industrialisé. L’Unité industrielle sera fournie prête au démarrage et gardera la responsabilité de la conception de l’unité de production et le choix des fournisseurs. Dans ce type de contrat, les principaux choix technologiques et économiques sont opérés ou contrôlés par le maître d’ouvrage.

 

D’après les discussions issues des entretiens avec les techniciens de l’eau, les installations du Scandinave Water devaient en plus bénéficier d’un approvisionnement en essence pour assurer les ruptures d’énergie électrique et perpétuer son fonctionnement. En conséquence, le Scandinave Water tombe en désuétude parce que l’AES-Sonel vend cher l’énergie électrique qui contribue a son fonctionnement. Le prix du litre de gasoil n’est pas non plus à la portée de bourse des populations. Peu après, les ouvrages du Scandinave Water sont en panne. L’Etat de l’ouvrage laisse à désirer. Les systèmes mécaniques de fonctionnement sont déconnectés. Le panneau de l’installation du compteur électrique de la Sonel est rongé par les termites. Les câbles du courant électrique sont cambriolés par les populations et utilisés à d’autres fins. Les feux de brousse détériorent progressivement la qualité des tôles. Par endroits, les tôles sont démontées par les populations pour répondre à la stratégie de survie dans le cadre de la récupération et de la vente des métaux du secteur informel.

 

Le projet Scandinave Water semble se situer dans le contexte des récits du développement qui s’apparente à un mythe ayant contribué à ancrer dans bien des consciences la conviction que le progrès et la croissance n’ont pas de limite et ayant la certitude d’être universelle parce qu’elle est reproductible. Mais cette croissance illimitée, l’universalisation du modèle occidental, se heurte pourtant à des résistances et à des obstacles de toutes natures.

 

04-Serge-LatoucheDans le domaine de l’industrialisation et plus particulièrement des technologies, cette occidentalisation entraîne selon Serge Latouche (1998), une destruction des formes économiques antérieures (artisanat, communautés rurales). Dans cette perspective, poursuit Serge Latouche (1998 :95-96) : « la standardisation des produits s’impose sous la pression du marché mondial, sinon par goût, et la discipline des gestes de travail est mise en œuvre par la machine. Toute la vie se trouve bouleversée par la raison industrielle : les rythmes, les modes et les finalités. Toutes limitée, freinée, bloquée qu’elle soit, comme dans la plupart des pays d’Afrique noire, une industrialisation se produit par « substitution d’habitudes de consommation ». Les produits et les usages traditionnels s’en trouvent détruits de manière irréversible. La logique de l’usine s’impose dans toutes les sphères de la société. »

 

L’acceptation généralisée des normes occidentales, devenue référence dans les modes de faire mais aussi les modes de perception, aboutit à des échecs. En ce sens, les chemins du « développement » devaient passer nécessairement par la rupture avec les logiques et les pratiques dont on décrète la faillite et l’inefficacité dans l’ère de la communication des peuples marqués par l’évolution rapide des technologies. Pourtant, les principes généraux du « développement durable » insistent sur l’importance d’une collaboration volontaire des acteurs concernés par la réalisation d’un projet. C’est dans cette perspective, les experts à regard des enjeux de la durabilité que ces acteurs interprètent, chacun selon sa logique. Or, poursuit Zaccaï (2002) : « le développement durable aurait alors des effets parce qu’il nous oblige à penser ensemble plusieurs problèmes jusque-là disjoints. Plus profondément, le développement durable nous oblige à une réflexion politique, parce qu’il nous oblige à justifier à plusieurs égards, dans plusieurs registres et en nous référant à plusieurs échelles, à plusieurs sociétés. Il ouvre donc un espace politique nouveau. C’est donc une sorte d’heuristique politique dont nous ne savons pas encore vraiment comment nous en servir ».

 

Dans le cadre du transfert de technique du Scandinave Water, les connaissances des populations locales n’ont pas été suffisamment interrogées et les acteurs locaux n’ont pas été réellement intégrés au projet et guère plus consultés. L’inadéquation entre les conditions d’élaboration du projet, notamment ses dimensions techniques (énergie, entretien, particulier se révèle rapidement. L’absence de consultation des populations concernées conduit à un désengagement de leur part, face à un outil qui est transplanté sans que les bénéficiaires aient eu le temps d’adapter leur manière de consommer et d’utiliser l’eau.

 

Le transfert de technologie montre qu’il aggrave la dépendance des pays en développement et expose davantage les populations à la pauvreté (le budget de financement de ce transfert est puisé dans les caisses de l’Etat), aux risques sanitaires (retour aux sources anciennes et consommation de l’eau polluée). Par ailleurs, il accentue le réémergence des maladies endémiques d’origine hydrique (cécités des rivières, amibiase, typhoïde …) et génère les conflits sociaux : le choix du site de l’implantation de la station de pompage d’eau Scandinave Water est souvent l’objet de tensions entre les élites politiques – maires et députés – qui brandissent le projet comme une initiative personnelle pour solliciter les voix aux différents scrutins. Ces remarques rejoignent les critiques évoquées (Perrin, 1983 ; Ela, 2004) portant notamment sur la différence fondamentale des objectifs liés aux transferts de technologie. Ces auteurs insistent sur le fait que les firmes multinationales cherchent à atteindre certains objectifs (expansion, diversification, profits) qui ne sont pas nécessairement compatibles avec les préoccupations plus générales, sociales notamment, des pays en développement. Ces transferts de technologies sont de plus en plus proposés comme solution miracle au développement sans toutefois tenir compte des besoins exprimés par les populations. Ces transferts ne sont pas automatiquement accompagnés de procédures qui permettraient 05-chefferie-Bamena-2d’installer durablement ces techniques dans les territoires d’accueil. Ainsi, comme le montre le projet Scandinave Water, on peut constater une absence d’accompagnement dans le transfert des connaissances – à des fois sur le fonctionnement de l’outil lui-même, mais aussi sur les bénéfices attendus par les populations locales. Le processus de transformation/acquisition est long et complexe, et suppose là aussi de construire des procédures de formation, qui tiennent compte des spécificités locales (connaissances déjà existantes des responsables locaux : chefs du village et la compréhension des usages sociaux et culturels de l’eau, etc.). La connaissance ne se limite pas à l’information écrite ou orale, l’accès au savoir-faire est indispensable et reste le résultat, au cours des années, d’expériences positives, qui sont échangées entre les pourvoyeurs de cette technique et les acteurs locaux chargés d’en assurer le bon fonctionnement, ainsi que les habitants, premiers destinataires de cet outil.

 

Les comportements et les pratiques culturelles des populations bamiléké ne sont pas systématiquement solubles dans la logique du « développement durable ». Les usages qu’ils ont développés avec l’eau n’étaient guère compatibles avec les nouvelles pratiques issues de l’abondance de l’eau produite avec le Scandinave Water. Dans cette culture, les rites médicaux ont lieu dans les cours d’eau. Ces rites effectués dans les cours d’eau permettent à l’eau ayant une valence de transport, d’emporter très loin les impuretés que l’on décharge du corps. A l’issue de l’entretien réalisé auprès d’un informateur, Mathieu Nana Ngongang, instituteur retraité, 53 ans, l’arrivée des technologies ne doit pas détourner les populations de leur culture, « la jeune génération ne doit pas perdre de vue les coutumes du village, l’eau apportée par le blanc (technologie) ne peut pas jouer le même rôle que les eaux du village. Les dieux du village habitent dans les cours d’eaux et si nous cessons de leur faire des rites, le village ira très mal. On doit utiliser l’eau du blanc quand il le faut, on peut boire l’eau du blanc si ça marchait et faire les sacrifices et les rites dans les chutes du village, chaque eau à son rôle ».

 

Il se dégage de cette citation que les adultes incitent les jeunes à ne pas perdre de vue leurs propres valeurs culturelles. Ces valeurs ont existé bien avant l’arrivée des nouvelles technologies, il est donc hors de question que leur implantation ait l’ambition de s’opposer à la culture locale. L’eau du cours d’eau doit drainer l’impureté au loin pour qu’un autre membre du groupe ne se « contamine » pas, ne « porte pas la malchance/l’infortune » (ne ngna’a sué’é). En plus, les cours d’eau qui coulent sont les cadres des pratiques juridiques dans ce groupe ethnique. En effet, le rite du veuvage se pratique à l’eau en raison du pouvoir que comporte l’eau. Ce rite consiste à soumettre la femme devenue veuve à une épreuve pour déterminer si elle n’est pas responsable du décès de son conjoint. Le rite de veuvage qui a commencé dans la maison du défunt, auquel est soumise la veuve, aux yeux de proches parents, se termine dans un cours d’eau. La veuve est ainsi amenée dans un cours d’eau ayant une chute. Elle est placée à quelques mètres de la chute. Le ritualiste place entre ces jambes une calebasse magique (teto’o. kan) contenant des ingrédients du rite (vin de raphia, arbre de paix, cauris, poudre à canon, graines de jujube…). La femme répète des formules imprécatoires dictées par le ritualiste. A l’issue de cette répétition, les participants observent les mouvements de la calebasse. Si le courant d’eau n’emporte pas la calebasse et rôde entre ses pieds, la veuve est reconnue coupable des faits de soupçon sur la mort de son conjoint. Ces rites sont exécutés dans un cadre public précis, sous le regard d’un nombre réduit de témoins. L’eau du Scandinave Water ne pouvait contribuer à la réalisation de ce rite.

 

06-populations-retournent-aux-sources-anciennesPar ailleurs, dans le même contexte, l’eau est une substance empreinte du pouvoir des esprits. En milieu bamiléké, l’eau est considérée comme la demeure des esprits et des ancêtres. Dans presque toute la région, les points d’eau sont considérés comme les lieux sacrés, à l’intersection des sphères humaine et divine. L’eau est le milieu de vie des puissances surnaturelles (crocodiles, arc-en-ciel, serpent boa, grenouilles…), une extension du royaume des morts et des ancêtres. Les représentations de l’eau ainsi présentées soulignent l’évidence que cette ressource est un milieu où abondent les esprits et une substance alliée au monde des ancêtres. C’est pour cette raison que les eaux qui jaillissent du sol sont considérées comme venant du centre de la terre et envoyée par les divinités ou Dieu. Ce genre d’eau peut jaillir et couler à n’importe quel endroit de la concession familiale. Les esprits de l’eau sont aussi présents dans les chutes. Les récits de nos informateurs sur la force des ancêtres et les chutes d’eau sont fort étonnants. Ils soulignent les dangers que l’homme encourt en s’approchant sans un guide initié, chargé de parler à l’eau, aux esprits de l’eau et à indiquer les limites des zones permises et celles qui sont interdites de la chute. Ces récits donnent aussi à comprendre que la demeure des ancêtres en terre bamiléké est inviolable et sacrée. Dominique Mallaquais (2002) nous a présenté une description des chutes d’eau en ces termes : « les chutes d’eau sont habitées par des divinités protectrices des environs. C’est pourquoi à côté de chaque chute s’élèvent de petites cases, soigneusement entretenues, qui servent d’abris aux (dieux gardiens) de la chute. Les grandes rivières abritent aussi de nombreux (esprits… ceux-ci) habitent des grands villages, cachés dans le fond de la rivière. Quand la rivière déborde, on dit que ce sont les morts qui sont venus danser sur la terre. Quand un homme se noie, on dit que les morts ont voulu l’attirer et quand on ne retrouve pas son corps, que les morts l’ont emmené vivant dans leur village aquatique. »

 

Complétons ce témoignage par la description des comportements de l’eau. Dans le village Bamena par exemple, lorsque l’eau de la rivière déborde, elle empêche les femmes de rentrer du champ. Elle déborde au niveau du pont et la traversée devient impossible. A plusieurs reprises, les eaux de rivière ont débordé empêchant les femmes et les enfants de vaquer librement à leurs préoccupations quotidiennes. Les analyses qui précèdent montrent que les cours d’eaux sont les lieux de résidences des esprits de l’eau. Or, certains endroits de ces cours d’eaux ont servi de point de canalisation. Ces constructions permettaient de retenir l’eau en quantité suffisante, y mettre un moteur, afin de la conduire dans l’aqueduc du Scandinave Water. Cette construction et les bruits du moteur en état de marche perturbaient considérablement la tranquillité des esprits de l’eau. Pour manifester leur mécontentement, les esprits de l’eau asséchaient les cours d’eaux et le pompage de l’eau devenait impossible.

 

Dans ce contexte culturel, le « développement durable » sera confronté à de telles pratiques culturelles tout aussi durables, puisqu’elles se pratiquent de génération en génération. S’il est vrai que les rites de veuvage sont de plus en plus considérés comme un comportement anodin, les sanctions liées à la transgression de ce rite sont la cause des maladies, des infortunes dont sont victimes les individus de ce groupe ethnique.

 

Après ce brillant exposé, des questions posées sont répondues par l’orateur du jour. Par exemple : Quelle différence faites-vous entre un projet de recherche et un projet de développement ? Cette question, selon l’orateur nécessite tout un autre débat, il faut organiser un autre séminaire pour y répondre.

 

Dr. Peguy Ndonko

Anthropologue

Email : pegndonko@yahoo.fr

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1 Commentaires

  1. Papa, le Docta là parlent trop et tout ce qu’il dit est tellement vrai, wéh l’Afrique, le Cameroun, on va faire comment alors?