Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

XIIème congrès international de Psy Cause à Lomé (4 et 5 décembre 2018). Carnet N°3

Après le carnet N°1 consacré à l’ouverture, le carnet N°2 qui traite des communications à la plénière de la matinée, ce carnet N°3 termine la journée de congrès du 4 décembre avec l’évocation du fonctionnement de l’après midi sur deux salles. Ce carnet ne peut être exhaustif et rendre compte d’une vingtaine de communications en simultané sur deux lieux, à savoir la grande salle de l’auditorium et une salle plus petite, située à proximité et mise à disposition par l’AUF (Agence Universitaire de la Francophonie). D’autant plus que l’auteur du compte rendu a du se partager entre les deux salles. Nous commençons par évoquer le déroulé dans la salle de l’AUF.

 

En accord ave le Dr Thierry Lavergne, modérateur en ce lieu, nous retenons une communication à la fois originale et représentative de l’apport de la délégation du Mali au congrès Psy Cause de Lomé. Plusieurs professionnels ont fait le déplacement depuis ce pays qui se reconstruit et qui a une histoire au niveau de Psy Cause, à la fois avec la France et avec le Togo. Le Centre Hospitalier de Montfavet, à l’époque des premiers pas de la revue Psy Cause dans cet établissement il y a plus de vingt ans, avait soutenu le développement du service de psychiatrie à Bamako dirigé par le Pr Baba Koumaré. L’intervention française pour sauver le Mali a, plus récemment, été très appréciée, comme nous le confiait le Pr Baba Koumaré lors du second congrès de la Société Africane de Santé Mentale à Abidjan en mars 2017. Enfin, les psychiatres engagés dans l’armée togolaise (les Drs Salifou et Soédjé) ont effectué des missions au Mali dans le cadre de la MINUSMA (lire dans notre site le témoignage du Dr KMA Soédjé « Mission médicopsychologique suite à l’attenta suicide sur le bataillon Burkibabé de la MINUSMA à Ber-Tombouctou (Mali) en août 2014. » Lien : http://www.psycause.info/mission-devaluation-prise-en-charge-medicopsychologique-suite-lattentat-suiside-bataillon-burkinabe-minusma-ber-tombouctou-mali-en-aout-2014/

 

La Dr Kadiatou Traoré nous présente une communication intitulée « Etude épidémio-clinique des troubles psychiatriques chez les enfants : cas du Centre d’Accueil et de Placement Familial (CAPF) La Pouponnière, à Bamako (Mali). » L’auteure rappelle que l’enfant et le respect de ses droits sont au cœur de nombreux débats et qu’actuellement, la vision de l’enfance véhiculée par les grandes organisations internationales (OMS, UNICEF…) se fonde sur la « protection de l’enfance ». Pour les protéger, beaucoup d’enfants se trouvent placés dans des institutions. Or, constate t’elle, « un enfant en institution souffre non seulement de la séparation d’avec les siens, mais aussi du placement. Cette souffrance pourrait avoir comme conséquence le développement des troubles psychoaffectifs qui peuvent faire le nid à certains troubles psychiatriques. » Au Mali, le CAPF est le seul centre habilité à recevoir des enfants handicapés et abandonnés.

 

La communicante déplore que le manque de projet de vie pour ces enfants ou l’absence de structure d’accueil à l’âge adulte fait qu’il y a leur rétention au niveau du centre. Cet état de fait, nous dit-elle, « impacte parfois l’entretien des enfants, leur stimulation, pouvant ainsi entrainer un retard dans leur évolution psychomotrice, psychoaffective etc… La rétention des enfants au sein du CAPF et la problématique des enfants handicapés nous ont motivé à initier ce travail. »

 

L’objectif général est d’étudier les troubles psychiatriques chez les enfants placés au CAPF, les objectifs spécifiques étant de déterminer la prévalence de ces troubles chez les enfants du centre, et de décrire les caractéristiques cliniques des dits troubles, tout cela dans le cadre d’une étude réalisée sur place de mai à juin 2018. Pendant la période d’étude, le centre avait en son sein 246 enfants (53% de garçons et 47% de filles). Plus de la moitié avait moins de 3 ans (il est en effet plus facile de trouver des solutions ailleurs lorsque l’enfant a atteint l’âge de raison), plus d’un quart entre 3 et 5 ans, 13,4% entre 5 et 10 ans, 6% plus de 10 ans. Près des trois quarts sont des enfants abandonnés , un cinquième sont des enfants recueillis, seulement 2% sont orphelins et 4,4% sont des enfants dont la mère est malade mentale. L’abandon est l’une des raisons clés du placement en institution des enfants de moins de trois ans.

 

Les perspectives des enfants admis ne sont pas réjouissantes puisque sur les 246 présents sur les deux mois, seuls 3 ont pu retourner dans leur famille, 4 ont bénéficié d’un placement familial, les 239 autres étant « retenus ». « La rétention des enfants au sein du centre pourrait s’expliquer par l’arrêt de l’adoption par les étrangers, le peu d’adoptions à l’échelle nationale et l’absence de structure d’accueil des enfants quand ils atteignent l’âge adulte. »

 

Dans leur immense majorité (86,2%), les enfants ne présentent pas de handicap. Les troubles psychiatriques concernent 15% des enfants. La Dr Kadiatou Traoré conclut à propos de son étude : « Nos données témoignent du nombre élevé de cas de troubles psychiatriques dans le CAPF La Pouponnière » au Mali. Ils sont le plus souvent abandonnés avec ces troubles ou les développent au cours de leur séjour au sein du centre. » Elle attire l’attention sur la prévalence des enfants de moins de 3 ans dans le CAPF, ce qui correspond à une âge de plus grande vulnérabilité dans un moment de la vie crucial du développement psychoaffectif.

 

En parallèle, dans l’auditorium, se déroulent d’autres communications et, là aussi, nous proposons un rendu non exhaustif.

 

La première d’entre elles est très spécifique du contexte africain et interpelle une dimension de Psy Cause qui s’est développée au Cameroun avec l’anthropologue Peguy Ndonko, coordonateur de Psy Cause Cameroun, à savoir l’exploration scientifique et l’exploitation thérapeutique de connaissances traditionnelles qui font partie d’un patrimoine culturel. L’auteur de cette première communication est Mr Essossiminam Lakassa se définit comme « phytothérapeute », c’est à dire praticien de la médecine fondée sur les extraits de plantes et les principes actifs naturels, et coordonnateur du réseau togolais des Praticiens de la Médecine Traditionnelle (PMT). Le terme PMT est à rapprocher de celui couramment utilisé en Afrique Subsaharienne, de « tradithérapeute ». Mais en y ajoutant une dimension de recherche.

 

Mr Essossiminam Lakassa est une personnalité reconnue par les instances gouvernementales du Togo et par des organisations internationales. Il communique sur le thème « Approche de la médecine traditionnelle dans le traitement de la maladie mentale. » L’appréhension de la maladie mentale en médecine traditionnelle au Togo, nous explique le conférencier, donne une place toute particulière à la communauté et à la famille. La demande de soin vient généralement de la famille, auprès du PMT qui utilise des remèdes à base de plante. Par exemple la dépression, selon les PMT, est générée par des facteurs provenant de quatre domaines inhérents à la vie de tout être humain : le physique, le mental, le social, le spirituel. « Le rétablissement de l’équilibre fera intervenir le malade, la maladie et la famille par des rites, des rituels et de la réconciliation (des sacrifices). » Autrement dit, le traitement biologique par les remèdes phytothérapeutiques, s’accompagne d’un travail au niveau du groupe qui entoure le patient, la réconciliation finale (ou rituel de sortie), avec, par exemple, le sacrifice d’un mouton au cou noir le lundi ou le vendredi, vise la renaissance, la vie, l’espoir.

 

Mr Essossiminam Lakassa expose les limites, selon lui, de la prise en charge de la maladie mentale en médecine traditionnelle : « la méconnaissance de la maladie mentale dans tous ses aspects, l’absence d’un tableau technique de diagnostic fiable, les tâtonnements dans la prise en charge médicale, l’insuffisance de prise en charge psychologique. » Alors, il nous communique « les attentes de la médecine traditionnelle auprès de Psy Cause International », à savoir « identifier dans les communautés les PMT qui font la prise en charge des maladies mentales, évaluer les techniques et les méthodes de prise en charge, renforcer leurs capacités de prise en charge ou de référence, faire le suivi pour un changement de comportement dans la prise charge. »

 

Le conférencier conclut sur la lutte contre la discrimination des malades mentaux pour laquelle les PMT peuvent avoir un rôle important. Au total, cette communication, qui a bénéficié d’une présentation haute en couleurs et d’une certaine dose d’humour, a su captiver le public. Elle a fait appel également à une réponse de Psy Cause. Elle a l’intérêt d’illustrer une convergence en cours entre un certain nombre de tradipraticiens et nombre de professionnels de la santé mentale. L’efficacité  thérapeutique reposant, au Togo, pour les premiers sur la mise en œuvre d’un savoir ancestral africain qui fait appel à un savoir international, pour les seconds sur la mise en œuvre d’un savoir international qui intègre des mécanismes culturels africains. L’appel à Psy Cause International par Mr Essossiminam Lakassa est un appel, venant d’une organisation de tradipraticiens, à une coopération dans le champ de la santé mentale, au Togo, et plus largement en Afrique Subsaharienne.

 

Un autre temps fort de cette après midi du 4 décembre à l’auditorium de l’université de Lomé, est la communication de Mme Nathalie Méchin intitulée « Vingt ans et des cellules cancéreuses… ou comment se construire dans une famille toxique ». La communicante est membre du Conseil d’Administration de Psy Cause International en tant que référente de Psy Cause France. Elle se présente tout d’abord : « je suis psychologue clinicienne, actuellement à la retraite. Ma formation est double, une formation psychanalytique et une formation à la gestalthérapie, avec des québécois, que je préfère nommer thérapie existentielle. J’ai travaillé en hôpital psychiatrique, enseigné et mené des recherches à l’université de Lyon. »

 

Mme Nathalie Méchin présente un cas qui met en lumière comment une famille apparemment « normale » produit une jeune femme souffrant de pathologie. Elle a suivi cette patiente cinq années en psychothérapie, ce qui représente 200 entretiens. Cette dernière, opérée à l’âge de 23 ans, de cellules cancéreuses sur le col de l’utérus, était venue sur les conseils de son chirurgien. Elle présentait des symptômes multiples, somatisations bénignes, ou fulgurantes, addictions diverses, et agirs de toute sorte flirtant avec la délinquance, et rêves angoissants. La communicante a alors fait l’hypothèse que les souffrances de la patiente sont dues à la répétition de traumatismes qui se sont accumulés au cours de sa vie. Elle fait également le diagnostic d’état limite, avec un manque de tolérance à l’angoisse, et un manque de développement des voies de sublimation.

 

Lors du démarrage de la psychothérapie, la relation de confiance s’est vite établie. Relation de confiance qui est de l’ordre soit d’un transfert massif, soit d’un abandon de soi : « occupez-vous de moi », qui est devenu « que ferai-je sans vous ? » Mme Nathalie Méchin confie qu’elle lui provoque de l’inquiétude : « elle me projette l’état où elle est et souvent la sensation d’une difficulté sans fin. J’ai parfois peur pour elle. Une fois, la seule fois où elle ait oublié un rendez-vous, j’ai craqué et appelé sur son portable. Je ne le regrette pas ; car au fond ce qui est thérapeutique c’est d’expérimenter que sa thérapeute ne l’oublie pas, comme sa mère l’oubliait. »

 

Au cours de sa thérapie, la patiente a terminé ses études d’éducatrice spécialisée, un choix professionnel structurant pour elle. Son investissement dans la profession reposant sur un idéal : rétablir la justice. Mme Nathalie Méchin note une « histoire à deux » entre la patiente dont la pulsion de vie s’avère tenace, et la thérapeute où la pulsion de réparer est persistante. Elle conclut : « je pense que c’est ce désir chez le soignant de guérir l’autre et de l’accompagner dans sa recherche de vie plus grande qui est un élément déterminant pour le patient qui cherche l’aide d’un humain sur son chemin. »

 

Nous terminerons ce carnet N°3 du compte rendu du congrès Psy Cause de Lomé, par   l’évocation d’une communication programmée dans l’auditorium cette après midi du 4 décembre : « Nouvelles manifestations psychiatriques dans une Afrique en fort reflet occidental » de A Prince Hounnou, GM Gansou, E Klikpo et all. La délégation béninoise venue en voisine à Lomé est très nombreuse, comptant pas moins de quatre Professeurs issus des deux universités du pays (Cotonou et Parakou). Le Pr Grégoire Magloire Gansou, co-communicant, a remplacé feu le Pr Mathieu Tognidé, à la direction du Centre Hospitalier Psychiatrique Universitaire de Cotonou.

 

Cette communication décrit un choc de civilisation : face à la forte croissance démographique, les africains – assez conservateurs – subissent de multiples mutations socioculturelles qui influencent leur mode de vie. Les auteurs déroulent un cas clinique dont les manifestations ne sont pas toutes répertoriées dans le DSMV. Ils concluent : « Nous constatons, de nos jours, que, sous l’influence des cultures étrangères, les souffrances psychiques font naître chez les africains de nouvelles formes de manifestations psychologiques et psychiatriques. »

 

À suivre avec le carnet N°4 à paraître…

 

Jean Paul Bossuat

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Écrire les chiffres et les lettres apparus ci-dessous, dans le rectangle en dessous