XIIème congrès international de Psy Cause à Lomé (4 et 5 décembre 2018). Carnet N°5
Ce cinquième carnet du compte rendu de notre congrès de Lomé concerne la seconde moitié de la matinée du 5 décembre, depuis la pause café. Avant de reprendre une ventilation des communications sur deux lieux, la grande salle de l’auditorium de l’université de Lomé et la petite salle de l’AUF, un dernier moment en plénière est consacré, à un « atelier Psy Cause ». À savoir un temps de présentation, à deux voix, de la revue Psy Cause par son directeur, le Dr Jean Paul Bossuat, et par son directeur adjoint, le Dr Thierry Lavergne, avec pour base un power point. Ce temps étant suivi d’un échange avec la salle afin de définir quelques pistes pour l’avenir de la revue. La direction de Psy Cause avait en effet insisté pour qu’une discussion puisse avoir lieu avec un public représentatif d’un réseau réparti sur plusieurs continents, qu’il est exceptionnel de retrouver dans une même salle. Ce qui est le cas en ce 5 décembre 2018.
L’exposé/diaporama débute par une présentation de l’organigramme associatif mis en place en 2012 (l’association ayant été fondée en 1995). L’ensemble associatif francophone Psy Cause est coordonné par Psy Cause International dont le siège social est à Avignon, avec un conseil d’administration composé aux deux tiers, de représentants des sections nationales. Ces dernières sont en 2018 au nombre de sept, de statut associatif autonome conventionné avec Psy Cause International, ou avec un statut interne dans Psy Cause International. À savoir, par ordre chronologique de fondation : Psy Cause Cameroun, Psy Cause Côte d’Ivoire et Psy Cause France fondées en 2012, Psy Cause Canada et Psy Cause Togo fondées en 2015, Psy Cause Sénégal fondée en 2016, Psy Cause RD Congo fondée en 2017. L’existence de ces sections signale la présence de groupes de travail organisés, même si coexistent des groupes informels de professionnels très concernés par Psy Cause, comme au Bénin, au Burkina Faso et dans d’autres pays. La représentation de ces sections au conseil d’administration vise à établir une forme de gouvernance internationale.
Psy Cause est en premier lieu une revue. Laquelle est officiellement internationale francophone depuis 2010 (après sa reconnaissance par le CAMES en 2009). Depuis cette date, sur sept années pleines (2010 à 2017 incluse), 186 articles ont été publiés, dont 85 en provenance de l’Afrique Subsaharienne francophone (45,7%). Si l’on ajoute les 17 articles d’Afrique du Nord, les publications africaines représentent 54% de la revue. La proportion des publications françaises, décroissante d’année en année, avec 53 articles, est de 28,5%. Il est à noter une contribution significative de l’Extrême Orient avec 13 articles (7%), et du Canada francophone (Québec et Ontario) avec 11 articles (6%). Un comité universitaire francophone de lecture est progressivement mis en place depuis deux ans avec des membres de 10 universités africaines, de 2 universités canadiennes et d’une université française. Le comité de rédaction francophone, quant à lui, est présent dans 28 pays et majoritairement en Afrique. Au total, Psy Cause, en 2018, ne tient pas son XIIème congrès international par hasard à Lomé.
Le diaporama aborde à présent la question des références francophones dans Psy Cause. La première est de se référer à une clinique française centrée sur la globalité de la personne et l’observation. La prise en charge de la maladie mentale dans la globalité de la personne implique un travail en équipe pluridisciplinaire coordonnée, lequel était au centre du dispositif soignant dans les lieux de fondation de Psy Cause (dans le sud de la France). La seconde est de positionner la revue au cœur de la construction de références cliniques africaines, tant par une analyse critique du DSM (à Parakou par exemple lors de notre congrès de 2008) que par la publication de nombreux articles qui rendent compte d’expériences thérapeutiques à connotation culturelle. Le diaporama cite en exemple l’article du Pr Anselme Djidonou sur la préparation de sortie du malade hospitalisé en psychiatrie, à l’aide du rituel de réconciliation dénommé « sin tun tun ». Cette pratique, mise en place à Parakou, a d’ailleurs été citée, la veille dans cet auditorium, par Mr Essossiminam Lakassa, comme une technique importante dans la prise en charge des malades mentaux par la médecine traditionnelle togolaise.
Le diaporama accorde également une place particulière, dans cette question des références francophones, au Canada. Notre entrée dans ce pays/continent officiellement bilingue a été actée en octobre 2013 à Ottawa, capitale confédérale. Notre congrès Psy Cause, piloté localement par le Pr Raymond Tempier, se déroulait à l’hôpital francophone Montfort, sauvé récemment de la fermeture au motif d’un manque de rentabilité, par une forte mobilisation des franco-ontariens mais aussi des anglophones. Ces derniers défendaient l’existence de cet établissement francophone de la capitale confédérale au nom de la défense d’une culture francophone considérée comme une richesse à préserver. Ce congrès d’Ottawa débouchait en 2015 sur la fondation d’une section Psy Cause Canada. Les psychiatres québécois mettent alors l’accent, en Amérique du Nord, sur la confluence entre une pensée clinique « française » plus centrée sur la compréhension de la personnalité, et l’approche anglo-saxonne nord-américaine qui décrit les symptômes au sein du DSM. C’est ainsi qu’un psychiatre de Montréal, le Pr Pierre Lalonde, sollicite en juin 2017 Psy Cause pour une diffusion de son manuel de psychiatrie via notre réseau africain. L’ouvrage s’appuie sur une approche bio-psycho-sociale éclectique, faisant le lien entre la méthode scientifique analytique descriptive nord américaine du DSM V et la pensée plus globale venue d’Europe.
Le Dr Jean Paul Bossuat conclut cet exposé sur la place particulière de la revue Psy Cause en Afrique, dont ce congrès de Lomé est une magnifique affirmation. La revue Psy Cause a été « adoptée » par l’Afrique. Le Pr Arouna Ouedraogo l’officialisait en février 2014 en invitant Psy Cause à l’Assemblée Générale de la Société Africaine de Santé Mentale qui tenait à Ouagadougou son premier congrès. Cette assemblée votait à l’unanimité un partenariat avec Psy Cause. Le Pr Mamadou Habib Thiam, lors du congrès franco-africain de Dakar, en mai 2016, confirmait solennellement le rôle de Psy Cause. Ce que faisait de même le Pr Drissa Koné au second congrès de la SASM à Abidjan en mars 2017. Le Pr Kolou Simliwa Dassa fait voter, lors de l’Assemblée Générale de la SASM à Abidjan, l’intégration du congrès de Lomé dans le programme africain 2018 des rencontres scientifiques en santé mentale. Ce partenariat est une réalité bien vivante entre notre section Psy Cause Togo et la Société Togolaise de Santé Mentale. Il est pleinement opérationnel aujourd’hui à Lomé.
Cet atelier Psy Cause, a pour objet de parler aussi de l’avenir de la revue Psy Cause qui, pour être pérenne, au delà des personnes qui l’animent aujourd’hui, demande une implication croissante des acteurs francophones, africains et canadiens. Ainsi le prochain congrès devra t’il être à l’initiative, comme aujourd’hui avec Psy Cause Togo, dans un autre pays francophone, d’un groupe Psy Cause organisé. L’appel à candidature est donc lancé.
Des échanges ont porté sur la question du référencement international de la revue. Ce qui revêt une importance en dehors de la zone couverte par le CAMES où notre revue est reconnue pour le cursus universitaire. Le Dr Thierry Lavergne explique que cette question n’a pas été prioritaire jusqu’à présent, ce qui nous laissait une plus grande souplesse dans la construction des numéros. Le Dr Jean Paul Bossuat considère, de son côté, que, là où en est la revue Psy Cause aujourd’hui, il est très favorable à la mise en route de la démarche, via une université.
Le Pr Philippe Nubukpo a mis l’accent sur la diaspora africaine, dont le réseau des psychiatres et professionnels de la santé est particulièrement dynamique en France. La revue Psy Cause pourrait représenter, pour cette diaspora, l’opportunité d’un pont entre la France (voire d’autres pays occidentaux) et l’Afrique. Cette piste va être développée l’année prochaine, en lien étroit avec le Pr Philippe Nubukpo.
Le temps imparti aux échanges étant épuisé, le public se répartit entre les deux salles pour les communications de fin de matinée. Le signataire de ce reportage étant retenu par la tribune des modérateurs de l’auditorium, nous poursuivons par le compte rendu des communications dans ce lieu.
Le premier communicant est Ivoirien, en la personne de Mr Casimir Zady, Maître de conférence en Psychocriminologie à l’université d’Abidjan-Cocody. Il nous parle du phénomène des adolescents délinquants dits « microbes » en Côte d’Ivoire, interrogeant les responsabilités de la famille. Dans ce travail co-écrit avec Mr Martin Armand Sadia, Psychologue de l’éducation à l’université de Bouaké, est réalisée une enquête auprès de 75 individus (mineurs dits « microbes », et parents). Il ressort que 21% des parents sont complices de leurs enfants, que 85% se disent impuissants face aux actes délictueux de leurs enfants, que 67% ignorent que leur enfant est un « microbe ». L’étude révèle des failles au niveau familial : mauvaise relation avec l’adolescent, famille éclatée, caractéristiques familiales déviantes, discipline erratique et supervision insuffisante. Au niveau des recommandations, les auteurs suggèrent la mise en place dans les quartiers criminogènes, d’un programme de soutien à la fonction parentale, ainsi que la mise en place d’un service civique obligatoire pour les enfants en difficulté, d’appliquer aux adolescents microbes interpellés des travaux d’intérêt général.
Lors de la discussion, le directeur de la revue Psy Cause rappelle la publication dans le N°68 de Psy Cause, pages 11 à 15, d’un excellent article de Konan Simon Kouamé sur un thème similaire, intitulé « Effets des violences subies et de l’estime de soi sur les comportements à risque chez les adolescents à Abidjan » Cette étude porte sur des comportements délinquants qui peuvent être du type « microbe » sous l’angle d’une maltraitance initiale qui en serait à l’origine. Le lien pour accéder au N°68 en ligne dans notre site : http://www.psycause.info/revue-68/
Le second communicant est Malien, en la personne du Dr Mahamadou Koné, psychiatre dans le service de psychiatrie du CHU Point G (Bamako), qui parle sur le thème : Approche épidémiologique du risque psychopathologique selon le rang dans la fratrie. L’étude, qui porte sur un échantillon de 3012 personnes venant en consultation psychiatrique, démontre une plus grande fréquence des psychoses chez les filles en sixième dans la fratrie et chez les garçons en septième. De même pour l’arrêt des études au primaire. Une plus grande fréquence des névroses est observée chez les garçons et les filles en sixième rang dans la fratrie. Donc, la fratrie « constitue l’un des groupes d’influence pour un individu. » Le communiquant préconise des études plus approfondies sur ce thème.
La délégation malienne est très présente dans ce XIIème congrès international Psy Cause, en particulier au niveau de ses communications. Présageons qu’elle fera bientôt son entrée dans la revue Psy Cause par ses articles.
Le troisième communicant est lui aussi Malien, en la personne du Dr Pakuy Pierre Mounkoro, psychiatre Maître Assistant dans le service de psychiatrie du CHU Point G (Bamako), qui parle sur le thème : Etude ethnobotanique des plantes utilisées par les tradipraticiens de santé pour le traitement des troubles mentaux au Plateau Dogon de Bandiagara, Mali. Sur ce plateau, les tradipraticiens de santé (TPS) assurent la presque totalité de la prise en charge des malades mentaux. Les plantes médicinales occupent une place prépondérante dans les méthodes thérapeutiques utilisées. Mais elles demeurent encore peu explorées. L’étude a été réalisée auprès de 9 TPS de la ville de Bandiagara et de 8 villages environnants. 32 plantes appartenant à 20 familles ont été identifiées, dont les plus utilisées sont : Securidacalongipedonculata et Khayasenegalensis. Le communicant souhaite la poursuite des recherches afin « d’aboutir à la formulation de médicaments traditionnels améliorés dans le domaine de la santé mentale au Mali. »
Le quatrième communicant n’est autre que le Dr Saliou Salifou lui même. Sa communication est intitulée : Les agressions à Lomé : résultats de 14 ans de collecte de données au Centre de Prise en Charge Psycho-Socio-Judiciaire du Centre Hospitalier Universitaire Sylvanus Olympio. L’objectif de l’étude est de décrire le profil des victimes et des agresseurs. Du côté des victimes, l’âge moyen se situe à un peu moins de 18 ans (avec un écart allant de 7 à 29 ans), le sexe est plutôt féminin (298 femmes pour 43 hommes), plus de la moitié des victimes sont des mineurs de moins de 18 ans. Près des trois quarts des agressions se sont déroulées au domicile et plus de 70% sont des agressions sexuelles aussi bien commises par des inconnus, que par des amis et parents. Dans 16% des cas, l’acte a été commis par plusieurs agresseurs. Les agresseurs, eux, sont à plus de 70% des hommes, et sont plus âgés avec un âge moyen de 30 ans (écart de 18 à 42 ans).
Le cinquième communicant est le Pr Anselme Djidonou, psychiatre, de l’université de Parakou (Bénin). Son propos est ainsi énoncé : Influence du milieu familial sur la performance scolaire des élèves du 1er cycle du lycée Mathieu Bouké de Parakou. Les parents ne jouent pas souvent assez bien leur rôle d’appui véritable à l’école dans sa fonction complémentaire de l’éducation des enfants, est il constaté. L’étude conduite a confirmé l’importance pour l’enfant de vivre avec son père et sa mère, le plus que représente le niveau d’instruction supérieure du père, l’impact des professions du père et de la mère, l’influence du style éducatif démocratique parental, et le rôle de bien d’autres facteurs tels que le retrait du bulletin de notes par les parents, les copies visées par les parents, l’encadrement (parents/répétiteurs), les échanges participatifs sur l’école, la communication parent-enfant sur la sexualité, la ponctualité, la présence au cours … Tout cela influence la performance scolaire des élèves. Et donc, conclut le communicant, « des actions visant un meilleur accompagnement des enfants par les parents aideront à augmenter la prévalence de la performance scolaire ».
Le sixième communicant est le Dr Yves Amonles, psychiatre au CNHU de Cotonou (Bénin). Il communique sur le thème : Schizophrénie et polyaddiction aux substances : parcours d’un migrant clandestin. Il s’agit d’une étude descriptive portant sur un cas clinique complexe de comorbidité schizophrénie et polyaddiction chez un jeune migrant ouest africain de 27 ans, suivi à la fois dans un Centre Médico Psychologique (CMP) et un Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) dans le sud de la France. Cette étude est à la croisée de deux problématiques : celle de la migration qui favorise l’émergence des addictions et/ou des pathologies psychiatriques, celle des comorbidités addictives qui concernent plus de la moitié des patients atteints de schizophrénie, et qui sont à l’origine d’une sévérité évolutive plus importante de la maladie.
Le septième communicant est le Pr Komi Assogba, 
Professeur de neurologie du CHU de Lomé, qui nous fait l’honneur d’une visite non programmée à notre congrès. Son propos est de nous exposer son point de vue sur la pertinence d’une coopération entre la neurologie et la psychiatrie à l’hôpital. Il nous rappelle les liens historiques entre deux spécialités issues du tronc commun de la neuropsychiatrie. La coopération entre les professionnels des deux disciplines facilite l’identification des pathologies neurologiques à expression psychiatrique. Sans compter que les champs de la neurologie et de la psychiatrie peuvent se recouvrir partiellement. Le but de la démarche du Pr Komi Assogba, en venant dans cet auditorium au cœur d’un congrès de santé mentale, est de sensibiliser les psychiatres afin de renforcer un travail pluridisciplinaire.
Le rythme très soutenu de cette série de communications à l’auditorium en cette seconde partie de la matinée du 5 décembre, alors qu’il en est parallèlement de même dans la salle de l’AUF, illustre d’une part le foisonnement des attentes et des questionnements de toute une nouvelle génération africaine de professionnels francophones de la santé mentale, et d’autre part l’impact de la revue Psy Cause qui est au centre de l’événement.
Le huitième et dernier communicant est le Dr Damega Wenkourama, psychiatre au CHU de Kara (Togo). Il nous parle du traitement de la catatonie par Lorazépam en Afrique noire subsaharienne à partir d’un cas clinique. Il observe que, bien que l’incidence de la catatonie en population psychiatrique ait considérablement diminué dans les pays industrialisés à cause du diagnostic précoce et des traitements efficaces, la catatonie demeure sous-diagnostiquée en Afrique noire subsaharienne. Le cas clinique d’un jeune adulte de 35 ans, hospitalisé dans le service de neurologie du CHU Campus de Lomé (celui, justement, du précédent communicant, le Pr Komi Assogba) pour perte de connaissance de survenue brutale et propos incohérents suivis en 48 heures d’un syndrome catatonique, « nous montre l’efficacité thérapeutique du Lorazépam sur la catatonie en Afrique noire subsaharienne. »
Nous refermons ce carnet N°5 du compte rendu du Congrès international Psy Cause de Lomé sur la photo ci contre d’une scène du déjeuner de ce 5 décembre. Le buffet n’a cessé d’être excellent, ces deux jours, et nous saluons le chef qui a su nous faire goûter les saveurs de la cuisine africaine.
À suivre avec le carnet N°6…
Jean Paul Bossuat
